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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango
Autoren: Régine Deforges
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d’une croix gammée faite avec son rouge à
lèvres…
    — Cigarette, s’il vous plaît.
    Cinq ou six étuis se tendirent… autant de
flammes… Voluptueusement, Sarah tira une bouffée.
    Léa n’éprouvait plus aucune jalousie à l’égard
de Sarah, mais une immense pitié. Par ce tango scandaleux, elle signifiait qu’elle
n’avait plus rien à faire dans cette société élégante et policée, qu’elle
rompait avec elle et se mettait en marge. Elle prit un mouchoir dans la poche
du smocking de François et s’approcha pour essuyer le symbole honni. Avec
douceur, Sarah l’écarta.
    — Laisse, tu n’effaceras que le visible.
    Sans ménagement, François Tavernier prit le
bras de Sarah.
    — Viens, je te raccompagne chez toi.
    — Laisse-moi, je vais monter me
rafraîchir dans la chambre de Léa… Non, ne viens pas, ma chérie. J’ai envie d’être
seule.
    — Je ne veux pas te laisser, je viens
avec toi.
    L’orchestre se remit à jouer ; il y eut
une brève lueur dans le regard de Sarah.
    — N’insiste pas, on se verra demain.
    Elle se tourna vers l’assemblée et lança :
    —  Adios, amigos !
    Sans tenir compte du désir de son amie, Léa
la suivit. François la rattrapa sur le seuil du grand salon et la retint.
    — N’y va pas.
    Elle tenta de se dégager.
    — On ne peut pas la laisser seule, elle
me fait peur.
    —  à moi aussi, elle fait peur.
    Tout en parlant, ils étaient arrivés auprès
des ascenseurs. Sarah appuya sur le bouton d’appel. Léa essayait de desserrer l’étreinte
de François pour la rejoindre, mais la poigne de son amant l’en empêchait. Un
jeune liftier ouvrit la porte. Sarah entra et leur fit un geste ironique de la
main. La porte se referma. Léa eut un serrement de cœur.
    Ni l’un ni l’autre n’avait envie de
retourner dans la salle de bal. Ils demandèrent leurs vêtements au vestiaire et
sortirent de l’hôtel. Ils traversèrent la plaza San Martin et marchèrent
sans but. La nuit était belle et fraîche ; peu de monde dans les rues. Il
lui mit le bras autour des épaules. Elle était tendue, hostile.
    — J’ai trouvé Sarah très belle ce soir,
dit-elle comme se parlant à elle-même.
    — Belle ?… Oui, d’une certaine
manière… une sorte de divinité païenne et vénéneuse… Tu avais l’air d’un
insecte pris dans la toile d’une noire araignée… Malgré tes larmes tu semblais
fascinée… c’était très étrange votre couple, très troublant. Malgré le scandale,
je ne regrette pas d’avoir été là pour voir leur tête à tous.
    — Alors, pourquoi avoir interrompu
notre danse ?
    — Parce que c’était obscène.
    Agacée, Léa se dégagea.
    Sans s’en rendre compte, ils étaient arrivés
près de l’ambassade de France. Une voiture freina violemment non loin d’eux. Immédiatement,
François fut sur ses gardes. Quelle stupidité d’être sorti sans arme ! Un
homme descendit de la voiture. Avec soulagement, il reconnut Vladmir d’Ormesson.
    — Eh bien, mon cher, j’en apprends de
belles !… Bonjour mademoiselle Delmas… Bravo, on ne parle que de ça !…
vous rendez-vous compte du scandale ?… Madame Tavernier doit quitter au
plus vite Buenos Aires. Quant à vous, mademoiselle, je vous conseille de
rentrer en France. Demain toute la ville parlera de ce tango. Je m’attends à
être convoqué par le ministre de l’Intérieur, le président même…
    — Vous ne croyez pas, monsieur l’Ambassadeur,
que vous noircissez un peu le tableau ?
    — Tavernier, vous savez aussi bien que
moi que l’opposition ne cesse de reprocher au gouvernement de ce pays ce qu’elle
appelle ses sympathies fascistes. L’affaire del’ estancia Castelli
inquiète beaucoup les péronistes. La femme d’un diplomate français dansant avec
une croix gammée sur la tête, vous ne trouvez pas cela scandaleux ? Passez
me voir en fin de matinée à l’ambassade.
    Après un bref signe de tête à Léa, l’ambassadeur
remonta dans sa voiture.
    Ils reprirent leur marche en silence.
    Ils entrèrent dans un grand café de l’avenue,
bruyant et fortement éclairé ; leur arrivée provoqua des murmures et des
regards masculins appuyés. Léa resserra sur ses épaules nues son élégante cape
du même bleu que celui de sa robe. Le garçon s’approcha.
    —  ¿   Buenas noches, que
quieren tomar   ? [134]
    —  Dos copas de cognac, por
favor. [135]
    L’alcool qu’on leur apporta n’avait de
cognac que le nom. Ils
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