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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu
Autoren: Ann Featherstone
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Prologue
    Pendaison
    Il n’y a rien de pire, c’est sûr, que d’assister à la pendaison de son père.
    Toutes les horreurs de ce monde, la guerre et la famine, la peste et les épidémies, rien n’est plus atroce que la vision de son père sur l’échafaud, la corde au cou. Les sensations les plus extrêmes vous assaillent : l’effroi devant l’énormité de la chose, le désespoir face à la totale impuissance où l’on est réduit. Au moment où le sol se dérobe sous les pieds du condamné, il serait pardonnable de devenir fou, de s’arracher les cheveux, de s’en aller par les rues en pleurant. Oh, certes oui, on peut sombrer dans la folie.
    Ainsi réfléchit tout haut sans s’adresser à personne en particulier un élégant gentleman, un verre à la main (bien qu’il soit encore tôt), confortablement installé à la fenêtre, au premier étage d’une taverne. Il y a fort à voir, tant est varié l’échantillonnage humain massé en contrebas : le mendiant aveugle qui fait tout son possible pour échapper à l’attention intéressée d’une brute, la jeune fille à la robe éclatante et sa compagne qui hésitent à acheter les Dernières confessions à un vendeur ambulant, garçon maigre et blême, d’environ neuf ou dix ans, dont les habits naguère de bonne qualité (un pantalon et une veste encore mettables, une chemise et un foulard) paraissent aujourd’hui usés et miteux, en grande conversation avec un homme plus âgé. Il suffirait à l’élégant gentleman de se pencher par la fenêtre pour tout entendre, si tel était son désir, car la voix de l’enfant s’élève et retombe par-dessus le brouhaha comme un chant d’oiseau.
    « Tu devrais t’en aller maintenant, Barney, avant que ça commence. Ce n’est pas un endroit pour toi, lui dit son compagnon avec tendresse en lui prenant le bras pour qu’il se retourne. Écoute. Tous ces gens qui vont et viennent comme s’ils vaquaient à leurs affaires quotidiennes dans les boutiques ou les banques, ils sont là pour une seule raison. La foule est venue se divertir et tu ne devrais pas y prendre part.
    — Je ne suis pas venu me divertir, réplique-t-il, sur la défensive, en se dégageant. Moi, je ne suis pas là pour rire.
    — Mais tu vas te retrouver coincé parmi eux, insiste l’homme, avec les amateurs de pendaison et tous ceux qui se réjouissent de la misère des autres. »
    À ces mots, le garçon fait la grimace, ses lèvres remuent comme s’il s’apprêtait à répondre et il frotte avec vigueur ses yeux rouges de ses poings, pour faire refluer les larmes qui menacent de jaillir par torrents.
    « Je sais tout ça, dit-il enfin, et papa le savait aussi.
    — Oui, et voilà pourquoi il se retrouve là, et pourquoi toi, tu devrais t’en aller ! Ton père était un sot. Il aurait dû se méfier.
    — Quelqu’un a menti ! s’écrie Barney. Papa m’a dit que tout ça, c’était des mensonges.
    — Oui, peut-être bien, n’empêche qu’aujourd’hui il se retrouve sur l’échafaud ! »
    Une fois encore, l’enfant voudrait répliquer, de nouveau il se frotte les yeux, et bientôt les larmes et la crasse s’étalent sur ses joues.
    « Papa a un ami qui ne le trahira pas, lui. Un type malin. » Il déglutit avec peine. « Papa m’a dit qu’il avait écrit une lettre et la lui avait donnée pour qu’il l’envoie à la reine et au lord-maire de Londres. »
    Comme s’il répétait une prière si souvent prononcée que les mots ont perdu leur sens, sa voix s’éteint peu à peu.
    « Il a la lettre, fait doucement son compagnon. Oui, il l’a. Mais va-t’en à présent, tant que tu le peux. »
    Barney secoue la tête, se retourne et se mêle à la marée humaine qui avance, tandis que l’homme âgé hésite à le suivre, le perd de vue, puis, serrant les épaules pour se protéger du froid, s’adosse à la porte de la taverne voisine.
    Malgré l’heure matinale, la foule grossit de minute en minute autour du gibet, qui se détache sur les pierres grises de Newgate, sombre, carré, prêt à servir. Tout est gris. Surtout le ciel qui, comme un haillon détrempé, essore une bruine sale, arrosant les masses qui s’assemblent autour de la prison. Bien emmitouflés pour tenir en respect le petit matin frisquet, ils sont toujours aussi joyeux, s’interpellent à travers les rues noyées de gouttelettes, se pressent sur la place. Bien avant l’aube caligineuse, tavernes, hôtels, boucheries et
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