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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu
Autoren: Ann Featherstone
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grand-route , ces messieurs de chez Barnard ne cessent de le rééditer depuis six mois. Et Lovegrove a fait merveille dans Jack Blackwood, gentleman voleur , au Pavilion. »
    J’ai essayé de ne pas sourire, car mon ami était désespérément fier de son succès en matière de romans à deux sous et aspirait à de grandes choses sur scène. Ce n’est qu’une question de temps, me disait-il souvent, avant que Mr Phelps de Drury Lane me remarque ; quant aux grandes maisons d’édition comme Chapman and Hall ou Murray d’Albemarle Street, elles sauraient reconnaître son talent, qu’il pensait en toute sincérité à l’égal de ceux de MM. Thackeray et Dickens. De même, ses histoires de flibustiers et de bandits de grand chemin étaient des tâches de sous-fifre en attendant que lui vienne le joyau de son inspiration ainsi qu’une bonne dose de chance. Puis il a sorti deux paquets de son manteau qu’il a posés avec révérence sur la table.
    « Voilà, Bob, La Fiancée du vautour , une romance tapageuse en mer des Caraïbes, je vais la porter au copiste avant de me rendre au Pavilion où, à dix heures, on donne une lecture de mon grand spectacle de Noël, Elenore, la femme pirate . En assemblée 1 , bien sûr. Je pense que le vieux Carrier sera content. Les flibustiers et les sauvages, ça change des arlequins et de tout ce tralala démodé ! »
    Je n’étais guère convaincu. Vous pouvez me taxer de sentimentalisme, mais à Noël, j’ai besoin d’une pantomime, même si les plaisanteries sont éculées et les guirlandes de mauvaise qualité. Selon moi, c’est l’essence même de la chose. Une petite balade en compagnie de vieux amis, Arlequin, Colombine, Pantalon. Et si ce pauvre clown doit troquer ses habits pour ceux d’un policier, je me mordrai la langue et le saluerai trois fois du moment qu’il demeure gai et prévisible. Mais m’en passer complètement ? Pire, me passer d’arlequinades, de scènes de métamorphose, quand apparaît toute l’habileté du décorateur dans une eau ondulante, ou un champignon qui se transforme en fée ? Jamais ! Chassez-les, et je ne serai pas le seul à m’en offusquer ! La moitié de Londres sera debout, rugissante, tandis que l’autre moitié gardera ses sous dans ses poches, évitant le théâtre.
    Mais Trim ne voulait rien savoir.
    « Allez, Bob ! a-t-il fait en voyant mon air dépité. Il faut savoir évoluer. Même au théâtre. Le Pavilion survivra bien à la Noël sans une vieille pantomime poussiéreuse ! »
    Je n’étais toujours pas convaincu. Les gens d’ici aiment bien les recettes cent fois répétées, poussiéreuses ou pas. Mais c’était sans espoir, car déjà Trim s’essuyait la bouche et enroulait son cache-nez trois fois autour de son cou pour se protéger du froid et de l’humidité, qui étaient tombés comme un rideau de théâtre sur la ville. Il était aussi heureux qu’un chien à deux queues.
    « J’ai une longue journée de travail devant moi, Bob, s’est-il écrié, et à la clef, un mois de loyer et de petits déjeuners. Si ce n’est plus ! »
    Sur ce, il est sorti de chez Garraway tel un chevalier qu’on vient d’adouber. C’était un vrai plaisir de le voir ainsi, car mon ami Trimmer (il ne m’en voudra pas de le dire) est sujet à des accès de mélancolie, de désespoir, quand le démon vient se poser sur son épaule et qu’il se sent atrocement déprimé. À mon avis, c’est parce qu’il est artiste, car j’ai remarqué le même phénomène chez d’autres, comme le grand Mr Dickens, et aussi Mr Thackeray, dont la lassitude face au monde saute aux yeux quand je me penche sur leurs portraits, dans les vitrines.
    Mais ce matin-là, Brutus, Néron et moi, on ne s’est pas arrêtés devant la papeterie en allant à l’Aquarium. Ce n’était pas non plus le jour d’emprunter le chemin le plus rapide en contournant les ruelles, ni de faire un tour pittoresque en passant par les rues commerçantes animées ou flanquées de maisons neuves, avec leur bout de jardin. Non, ce jour-là, notre promenade matinale nous a menés vers des terrains tout proches, qui s’étendent de plus en plus loin depuis quelques mois et semblent chaque fois se transformer, car on y construit à toute vitesse une nouvelle ligne de chemin de fer, dont une partie souterraine passe justement par ici, pour ressortir à plusieurs kilomètres de là comme une taupe. Il y a à peine une semaine, des maisons
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