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La gigue du pendu

La gigue du pendu

Titel: La gigue du pendu
Autoren: Ann Featherstone
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aussi, çà et là sur le terrain vague, de fins panaches de fumée s’élèvent dans la grisaille, montant de leurs feux ou bien des champignons de toile de leurs tentes grossières. À mes yeux, il s’agit là de la plus misérable des existences, pourtant ces gens font venir leur famille, et j’ai vu des mioches crasseux aux yeux pétillants jouer dans des flaques boueuses, leur mère penchée sur une marmite noirâtre, tous aussi sales que s’ils sortaient de la fosse. Bien sûr, des rumeurs à leur sujet ont eu tôt fait de se répandre, mais tout de même pas aussi divertissantes que les histoires de Barbe-Bleue ou de Jack-talons-à-ressorts. Ces récits abondent en vols, attaques barbares (les crimes habituels des pauvres et des ignorants), mais aussi agressions contre des dames et enlèvements d’enfants, ce qui, tout le monde le sait, constitue le genre de forfaits que préfèrent les étrangers, surtout les gitans. À moins de cent pas, une femme et ses deux petits me regardaient, aussi les ai-je évités avec soin, m’approchant plus près du bord du gouffre, si près, même, que des relents de terre mouillée et de moisissures anciennes sont remontés du fond pour me saluer, tels de vieux amis, et comme chaque fois je me suis senti aimanté par ces lieux de ténèbres.
    Soudain, un éclair, une clameur, et le monde s’est retrouvé sens dessus dessous en m’emportant avec lui. Une personne très pressée, guère plus qu’un tas de chiffons ai-je tout d’abord pensé, m’a attrapé l’épaule, envoyé promener par terre, et j’ai atterri lourdement dans une mare. Je suis resté ainsi un instant, le temps de reprendre mes esprits, tandis qu’en contrebas s’élevaient les rires et les acclamations des forçats, dont je n’aurais su dire s’il s’agissait de moqueries, d’encouragements ou de mises en garde destinés au garnement. Ce dont je suis certain, en revanche, c’est que la silhouette qui m’avait foncé dessus était bel et bien celle d’un jeune garçon, qu’il courait, fusait le long du précipice irrégulier, comme s’il avait le diable à ses trousses. Il filait à une allure folle, désespérée, dangereusement près du bord, sans se soucier le moins du monde de sa sécurité. Mais pourquoi, ou qui fuyait-il ainsi, c’était un mystère. Quand les forçats se sont exclamés : « Qui qui est donc après toi ? », je m’attendais à voir débouler derrière lui un policier corpulent ou un ramoneur. Mais il n’y avait personne. Les nuages et la pluie obscurcissaient le ciel, l’air était mouillé, épais, presque au brouillard, et tout ce que je voyais, c’était une poignée de curieux penchés sur la barrière, de l’autre côté de l’immense tranchée. Pas un cri, pas le moindre « Au voleur ! », juste l’humidité cotonneuse de ce matin d’hiver. En tout cas, personne ne le poursuivait. Pourtant, il devait bien croire qu’on lui courait après, car, de ma flaque, je l’ai vu se faufiler, se glisser, se retournant sans cesse, avant de repartir comme le vent, vacillant sur le bord, perdant presque l’équilibre, menaçant de tomber la tête la première dans ce gouffre d’oubli, pour recouvrer sa stabilité à la dernière seconde et continuer sa route.
    Ensuite, plus rien, et j’ai supposé que l’enfant avait trébuché avant de dégringoler dans le trou. S’il s’était rattrapé au rebord glaiseux, aux pierres, voire aux quelques buissons et touffes d’herbe épars, alors il l’avait fait en silence avant de sombrer, car il n’a pas poussé le moindre cri. Bien sûr, je me suis mis à genoux et j’ai traversé la boue collante pour aller voir, mais quand je suis arrivé au bord, la fange pénétrant mes vêtements, alors que je m’attendais à le voir remonter la pente, il n’était nulle part. Plus bas, la terre, la caillasse, les ténèbres, vertigineuses.
    Brutus et Néron, mettant leur odorat subtil au service de la chasse, ont commencé à arpenter le seuil du gouffre, et nul doute que si je les avais laissés, ils se seraient frayé un chemin vers le fond, mais je les ai retenus. Ce n’est un secret pour personne que je ne supporte pas les espaces confinés, et le trou noir du tunnel, même à cette distance, m’emplissait de terreur, aussi, le cœur battant la chamade, je suis resté là quelques minutes, giflé par la pluie, à scruter ce monde souterrain en regardant ici et là les lueurs des lanternes des forçats qui
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