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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango
Autoren: Régine Deforges
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ses fils contre elle en lui murmurant un merci qui acheva de la
bouleverser.
    Après sa fuite de
Montillac, Jean Lefèvre, malgré sa blessure, avait réussi à gagner Pauillac
dans le Médoc où il avait retrouvé des camarades rescapés du maquis de Grand-Pierre.
Soigné dans une ferme près de Lesparre, il rejoignit le groupe Charly et, le 23
juillet, avec soixante-dix maquisards, participa à l’attaque de la poudrerie de
Sainte-Hélène où des dizaines d’Allemands furent tués et avec eux vingt-sept de
ses compagnons. Blessé une nouvelle fois, il fut fait prisonnier et emmené avec
sept autres de ses camarades au fort du Hâ. Battu, torturé, il fut jeté le 9
août dans un train partant pour l’Allemagne avec des détenus français et
étrangers, la plupart arrêtés dans la région de Toulouse puis transférés le 2
juillet des prisons de la ville à la synagogue et au fort du Hâ de Bordeaux. Entassés
à soixante-dix par wagon, par une chaleur torride, se battant pour un peu d’air,
un filet d’eau ou un quignon de pain, certains prisonniers se laissèrent aller
au désespoir ou sombrèrent dans la folie. Échappant aux mitraillages des avions
alliés, le train passa par Toulouse, Carcassonne, Montpellier, Nîmes, la vallée
du Rhône… pour arriver le 27 août à Dachau.
    Jean était en vie, mais dans quel état. Au
cours du voyage, dix-huit de ses compagnons étaient morts. À chaque arrêt, quand
les Allemands ouvraient la porte, on basculait les cadavres sur le ballast. À l’arrivée,
dans la petite gare de Dachau, six corps dégageant une insupportable odeur de
décomposition furent jetés sur le quai. Pendant l’interminable trajet, Jean
avait été soutenu et soigné par un jeune moine, curé d’un maquis de Corrèze, Michel
Delfand, qu’on appelait le père Henri. Brûlant de fièvre, il avait aidé les
mourants, consolé et réconforté les autres. Vu sa constitution frêle, tous se
demandaient comment, malade lui-même, il tenait. Il « tint » jusqu’au
29 avril 1945, jour de la libération du camp par les Américains. Là, le typhus
qui ravageait le camp le força à s’allonger. Transporté au Revier [1] , il reçut l’extrême-onction des
mains d’un prêtre polonais et s’apprêta, avec un sourire heureux, à rejoindre
son Dieu. Mais son heure n’était pas venue : la frêle carcasse résista à
la maladie. Après la quarantaine imposée par les libérateurs, le père Henri et
Jean furent rapatriés en France. Très affaiblis, ils passèrent deux mois dans
une maison de repos de Savoie avant de rentrer dans leurs familles. Pendant ce
séjour, des liens d’amitié très forts s’établirent entre les deux jeunes hommes.
La santé du père ne lui permettant plus la vie rude des capucins, il avait
obtenu de ses supérieurs l’autorisation de quitter le monastère. On l’envoya à
Bordeaux assister le curé de Saint-Michel dans son ministère. Dès son arrivée, il
appela son ami qui, lui, n’avait retrouvé les siens que depuis la veille. C’est
au cours de son premier séjour à La Verderais que les gendarmes vinrent
annoncer à madame Lefèvre que le corps de son fils Raoul serait exhumé le
lendemain. Jean, alors, avait raconté à sa mère et à son ami les circonstances
de la mort de son frère.
    Malgré ses
cauchemars qui la réveillaient presque toutes les nuits et la laissaient sans
force, Léa s’appliquait, le jour levé, à chasser ces images atroces. La
présence de François auprès d’elle, sa tendresse, ses caresses, ces heures
passées à s’aimer, à jouir l’un de l’autre, furent pour beaucoup dans son
revirement ; sans doute, elle ne pouvait pas oublier, elle ne le pourrait
jamais, mais son appétit de vivre reprenait le dessus.
    Les quinze jours
de permission accordés par madame de Peyerimhoff se terminaient. Léa devait
rejoindre le siège de la Croix-Rouge à Paris. Le raisin mûrissant, ses sœurs
avaient passé un accord avec un propriétaire voisin pour que fussent assurées
les premières vendanges de la France libérée. Grâce à l’argent de François
Tavernier, on put embaucher une trentaine de vendangeurs dont les deux tiers
étaient des prisonniers allemands. La mort dans l’âme, elle laissa tout ce qu’elle
s’était repris à aimer. Ces deux semaines passées à Montillac lui faisaient
croire que tout pouvait recommencer.
    Le voyage vers
Paris dans la grosse limousine de Tavernier avait ressemblé à un départ
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