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Noir Tango

Noir Tango

Titel: Noir Tango
Autoren: Régine Deforges
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en
vacances tant le temps était chaud et ensoleillé, les auberges accueillantes et
François amoureux et gai.
    Dès son arrivée, Léa
se rendit au siège de la Croix-Rouge auprès de madame de Peyerimhoff. Là, elle
eut la joie de retrouver Claire Mauriac et Jeanine Ivoy qui arrivaient de
Berlin. Les trois jeunes filles se jetèrent dans les bras les unes des autres
avec des cris et des rires qui firent sortir madame de Peyerimhoff de son
bureau.
    — Eh bien, mesdemoiselles, que se
passe-t-il ?… Du calme, que vont penser nos amies américaines de la tenue
de leurs consœurs françaises !
    — Laissez, ma chère, c’est bien normal
à leur âge d’aimer rire, dit avec un fort accent américain, une belle et grande
femme apparaissant dans l’embrasure de la porte du bureau.
    — Laureen, puis-je vous présenter trois
de mes filles. Elles ont l’air de trois jeunes écervelées mais ce sont des
femmes de tout premier ordre, courageuses, efficaces, pitoyables ; tête en
l’air et cœur d’or, coquettes mais supportant vaillamment le froid et la saleté,
gourmandes comme des chattes mais partageant leurs maigres rations avec les
malheureux. Elles viennent toutes d’Allemagne et doivent y retourner. Mesdemoiselles,
je vous présente Laureen Kennedy.
    — Parlent-elles allemand ? demanda
l’Américaine.
    — Léa Delmas, je crois. Vous aviez bien
une nourrice ou une gouvernante qui vous a enseigné l’allemand ? questionna
madame de Peyerimhoff.
    — Enseigné, pas vraiment, elle nous
racontait des histoires, nous chantait des chansons, nous lisait des poèmes en
allemand, mais de là à nous l’apprendre… Elle était Alsacienne, alors…
    — Alors quoi ? On peut être
Alsacien et être un bon Français, cela n’empêche pas de parler sa langue natale.
    — Si, quand cette langue est l’allemand,
fit sèchement Léa.
    Madame de Peyerimhoff eut un haut-le-corps
devant la dureté du ton. Surprise, elle se contenta d’un regard sévère.
    — Le parlez-vous oui ou non ?
    — Je le parle assez mal mais je le
comprends plutôt bien.
    — Alors si madame de Peyerimhoff le
veut bien, dit Laureen Kennedy, vous m’accompagnerez à Nuremberg.
    — Nuremberg !
    — Oui, c’est là que va avoir lieu le
procès des criminels de guerre.

2.
    Pour Sarah, le cauchemar continuait.
    Sa découverte par
Léa parmi les cadavres de Bergen-Belsen et son « évasion » du camp
restaient pour elle irréelles, comme sa présence dans cet hôpital militaire de
la banlieue de Londres. Chaque nuit l’horreur recommençait : c’était le
bordel à soldats où, en dépit des traces des brûlures de cigarettes infligées
par Massuy, elle restait une des filles les plus demandées par les officiers SS.
Son corps meurtri se refusait en vain. Et quand la pénétration était trop
laborieuse, ils barbouillaient son sexe de corps gras divers, le meilleur, prétendaient-ils,
avec d’ignobles éclats de rire, était la graisse de juif. La première fois qu’elle
avait compris, elle s’était évanouie. Un verre d’eau glacée l’avait ranimée. Depuis,
quand les verges enduites d’innommables bouillies glissaient en elle, elle se
murmurait le nom de tous ses amis juifs disparus et jurait de vivre pour les
venger, puisqu’elle n’avait pas le courage de se tuer pour échapper aux infâmes
étreintes. Un jour, elle avait cessé de plaire et on l’avait envoyée à l’entretien
des routes. Là, au camp de Ravensbrück, elle avait subi les sarcasmes des
autres prisonnières, marquées du triangle vert des droit commun, jalouses de
ses formes encore séduisantes qui insultaient leur maigreur.
    — Alors la
queue de Boche, c’était bon ?
    — C’est parce que tu ne savais pas
sucer les bites qu’ils t’ont renvoyée ?
    — C’est leur foutre qui t’a laissée
gironde ?
    La honte et la colère l’avaient rendu féroce ;
elle s’était jetée sur deux mégères dont les os perçaient la peau sous la robe
rayée et n’avait eu aucun mal à les assommer. La horde grondante des détenues s’était
refermée sur elle. Elle n’avait dû son salut qu’à l’intervention des kapos [2] ,
des gardes et de leurs chiens. Deux femmes étaient restées sans vie dans la
boue. Six prisonnières avaient été désignées pour traîner les cadavres jusqu’au
four crématoire. Sarah, sans émotion apparente, s’était laissé conduire à l’infirmerie
où une jeune déportée, ravissante, lui avait donné
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