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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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    Un ballet de feuilles mortes
    Baron Antoine-Joseph de Barsac en Périgord
    Ce matin d’octobre, l’automne est venu me saluer par un ballet de feuilles mortes du plus bel effet, après qu’un vent complice les eut arrachées du tilleul et eut soufflé sur elles pour les rassembler. Elles se sont soulevées et se sont mises à danser en tourbillonnant comme des folles, d’un bord à l’autre de la terrasse, s’affaissant puis se relevant pour reprendre leur manège avant que le ballet ne s’effrange.
    Salutation superflue : ma vendange faite, mes noix mises à sécher, mes oies gavées, mon bois coupé entassé dans la remise, je peux attendre les frimas sans redouter la disette.
    Plus que toute autre saison, l’automne est celle qui convient le mieux à ma nature qui, avec l’âge, n’aspire plus qu’à la paix et à la sérénité. J’ai franchi ce seuil en payant le passage par le sacrifice d’une jambe sur un champ de bataille de l’Europe centrale et une mise à la retraite des cadres de l’armée impériale. Le capitaine de hussards que j’étais, aide de camp de quelques grosses moustaches, nourrissait en lui suffisamment de philosophie pour se persuader que cette retraite prématurée, loin de représenter une mort lente, pouvait être le début d’une ère nouvelle et une chance de survivre,éclopé mais en bonne santé, à la tourmente qui avait balayé le continent.
    La mort, je ne l’ai jamais redoutée au point d’en faire une obsession. Cette mégère s’est accrochée à mes basques depuis que j’ai attaché un sabre à ma ceinture ; elle a entamé ma chair et a failli m’emporter dans ses serres mais sans parvenir à ébranler le roc de sérénité ou de fatalisme que je porte en moi depuis que mes yeux se sont ouverts sur les vertes collines de ma province.
    Pourtant, ce matin, en regardant tomber les feuilles, l’image de la mort s’est imposée à moi avec une intensité inhabituelle. Il a suffi que j’entende sonner la cloche à la chapelle de Barsac ; elle me rappelait qu’il y a un an, à quelques jours près, mon épouse, Héloïse, quittait ce monde. Malgré la pluie, des gens sont venus des paroisses voisines : Saint-Mayme, Beauregard, Saint-Mamest et même de Villamblard. Quelques rares amis s’étaient mêlés à la foule des paysans.
    Outre que sa maladie était de celles, comme la peste, dont on évite de prononcer le nom et dont on ne guérit pas, elle avait épuisé ses dernières forces en prêtant la main aux vendanges. Elle tenait à cette activité saisonnière comme à un rite familial et l’accomplissait avec joie. Il eût été malséant pour elle d’y renoncer, au risque de paraître rompre avec une tradition et de céder sans se battre à l’inévitable.
    Nos relations, sujettes à des orages du fait de mon service dans les armées de Napoléon, remontaient à notre jeunesse. Nous avons été longtemps éloignés l’un de l’autre par des distances sidérales. Qui pourrait dire de combien de ruptures de ce genre la guerre est responsable ?

    J’ai souffert de ce décès mais la cicatrisation s’est opérée. J’ai redouté qu’une solitude inexorable se referme sur moi, mais nos amis me sont revenus peu à peu. Ma modestedemeure et ma table, que l’on s’accorde à estimer généreuse, leur restent ouvertes.

    La passion, partagée à l’origine avec Héloïse, a été de courte durée mais intense. La guerre, qui prend souvent le visage de la passion, comme ce fut le cas pour moi, est exclusive de toute autre. J’en connais qui lui eussent sacrifié leurs proches.
    Héloïse était la fille d’une famille de fabricants d’huile de noix, les Bonal, qui possédaient noiseraies et moulin dans les parages de Sarlat. Nous leur livrions la plus grosse part de notre récolte.
    C’est sur le marché de cette ville, au pied de la cathédrale, que j’ai fait la connaissance de celle qui, bien des années plus tard, allait partager ma vie. Elle tenait un éventaire d’huiles de diverses qualités, de noix, de truffes et de volailles. Elle était mon égale en âge, sinon en condition sociale. Le jour de notre première rencontre mon père m’avait confié le soin de lui ramener un verrat et quelques tourtes de pain de méteil. Affaire faite, je flânais, peu avant la clôture du marché, quand je me suis arrêté devant son étal, à la droite du porche, pour lui en faire compliment et l’aider à replacer ses produits invendus dans
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