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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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voisin, une relation amicale que je n’avais aucun motif de lui refuser.
    Son père, le vieil Hugues, qui nous reçut dans son cabinet, sorte de crypte éclairée par un vitrail, semblait avoir dû, pour nous accueillir, soulever le couvercle d’un sarcophage, tant il était blême et d’une maigreur extrême.
    Il nous fit servir du thé par un laquais en livrée et me dit avec une affectation de familiarité :
    – Mon garçon, qu’est-ce qui te plaît dans la garde nationale ? Pour des gens de notre condition, cette promiscuité doit être insupportable…
    – Mon Dieu, monsieur, lui répondis-je, je ne fais qu’accomplir mon devoir, mais j’avoue que cela ne me plaît guère.
    – À la bonne heure ! Mon fils raisonne comme toi, mais nous avons l’intention de mettre fin à cette épreuve. Puis-je te parler à cœur ouvert et dans le plus grand secret ?
    – Vous le pouvez, monsieur.
    Il me confia son projet de faire émigrer son fils, la chose étant encore possible. Il entretenait des liens amicaux avec un négociant en laine qui demeurait à Calais et faisait commerce de ce produit avec l’Angleterre. Munis de faux viatiques, il nous serait relativement aisé, à Arnaud et à moi, de traverser le territoire national et de nous retrouver à Londres où les partisans du roi avaient créé une sorte de colonie.
    Il ajouta :
    – Je ne puis t’en dire plus. Réfléchis à ma proposition. En quittant ce pays ravagé par le chancre de la Révolution, tu resterais fidèle à la mémoire de ton ancêtre, Anselme de Barsac, qui s’est battu pour le roi Louis XIV, dans le Palatinat. Je ne te cache pas qu’il m’en coûterait de laisser moncher fils partir seul. Il va sans dire que tu serais dédommagé. Fais-moi savoir ta réponse dans la semaine, mon jeune ami.
    Le « jeune ami », ayant écouté ces propos d’une oreille complaisante, décida… de ne rien décider sans l’assentiment et la bénédiction de son père.
    Accepter cette offre m’obligeait à me confronter à une notion obsédante de traîtrise et de désertion, corollaires d’émigration. Je mis en balance ma situation présente avec la sécurité dont je jouirais en Angleterre. Mon père fit pencher le plateau de la balance par un avis péremptoire : en émigrant, je ne trahirais pas l’illustre mémoire d’Anselme de Barsac.

    J’étais sur le point de donner au baron de Beauregard une réponse positive quand un événement d’une extrême gravité vint contrarier ce projet.
    Sans daigner m’en informer, ce pauvre Arnaud avait fait la même proposition au fils du comte de Fages, caporal de la garde. S’il m’avait averti de cette démarche, je l’en aurais vivement dissuadé, ce nobliau arrogant étant un faux-jeton détesté de tous. Heureux de faire preuve de zèle patriotique dans l’espoir d’un avancement, Fages s’était vanté de cette proposition auprès du capitaine, lequel, dans l’heure qui suivit, avait fait jeter Arnaud dans un cachot de la prison des Clarisses, dans l’attente du conseil de guerre.
    Par chance, Arnaud ne me dénonça pas comme complice. Je lui en sus gré. Si, flanqué de cet imbécile, j’avais donné suite à ce projet d’émigration, j’aurais eu du mal à m’en dépêtrer. Il va sans dire que je n’en soufflai mot ni à François ni à Héloïse.

    Je n’allais pas croupir longtemps dans cette chienlit qu’était la garde nationale de Sarlat. À son retour de Paris, François m’avait averti de son intervention en ma faveur au ministère de la Guerre.
    – J’ai insisté, me dit-il, pour que tu sois nommé sergent. Ça n’a pas été facile, crois-moi, de plaider ta cause devant ces vieilles badernes, mais ils ont fini par céder, à condition que tu partes pour Paris. J’ai pensé que ce transfert te conviendrait.
    Je trouvai un peu choquant qu’il eût entrepris cette démarche sans m’en avertir, mais la perspective d’échapper à la promiscuité des lascars qui constituaient mon entourage me fit oublier cette désinvolture.
    Acquis à l’idée que je devrais un jour ou l’autre quitter ma province, mon père ne s’opposa pas à mon départ. Mes lèvres essuyèrent quelques larmes sur les joues de ma mère, mais je la rassurai en lui confiant qu’il ne s’agissait que d’un stage probatoire de quelques mois.

    J’eus davantage de mal pour faire accepter cette nouvelle à Héloïse. Sa réaction me laissa pantois :
    – Tu souhaites partir, sergent
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