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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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nous et nous n’en souffrons pas.
    Il avait bien vendu ses oies, ses truffes et ses noix. La vendange avait été généreuse et il allait sacrifier un porc. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, comme disait le bonhomme Pangloss dans le Candide de Voltaire.
    Cet optimisme béat, j’étais loin de le partager. Le séisme qui avait bouleversé Paris était sensible dans notre province par des frémissements de jour en jour plus intenses. À Sarlat, à Périgueux, à Bergerac, des groupes d’excités portant cocarde parcouraient les rues. Une nuit, une dizaine d’énergumènes avaient surgi à grand tapage devant le château de Beauregard, à portée de voix de notre manoir, avant de semer la panique dans la paisible famille des barons, nos voisins et amis. Ils leur avaient tué deux chiens et s’étaient dispersés sans s’en prendre à nous.

    François Fournier ne se montrait pas flagorneur en faisant l’éloge de ma condition physique. Avec une taille de six pieds, des épaules épanouies et des reins solides, je présentais quelque ressemblance avec le portrait d’un chevalier de Barsac, Anselme, héros des guerres de Palatinat, qui figurait, en fort mauvais état, dans la chambre de mon père. Il portait perruque mais j’avais une chevelure suffisamment abondante pour m’en abstenir.
    Mes universités achevées, j’avais de moins en moins envie de m’enfermer dans l’étude du notaire de Villamblard, la ville la plus proche de notre demeure. La Révolution faisait sonner ses tocsins au plus profond de moi, vibrer mes fibres, et le tonnerre de ses canons m’éveillait en sursaut. Des lectures voltairiennes sous le manteau m’avaient préparé à affronter les événements qui risquaient d’affecter la quiétude de ma famille et de m’inciter à prendre des décisions encore imprécises.
    François, que j’avais revu à Sarlat à diverses reprises, avait instillé en moi le vin noir de la Révolution et m’avait convaincu d’apprendre le maniement des armes dans la salle d’un couvent désaffecté, où il m’avait précédé avec brio, ce qui, me disais-je, ne m’engageait en rien.
    Je ne pouvais dissimuler mon admiration en le voyant surgir dans son uniforme de la garde nationale – habit bleu, culotte et veste blanches, bottes à revers, sabre à la ceinture –, l’air faraud et la pipe au bec, sous une ombre de moustache.
    Il me dit un matin, au retour d’une revue dans les jardins du Plantier, alors que je me trouvais avec Héloïse au Tapis vert :
    – C’est un grand jour pour moi, baron Antoine de Barsac. Tu as devant toi un sergent de la garde nationale ! Promotion spontanée, certes, mais qui m’était due. Mes amis, nous allons célébrer cet événement ! Vous êtes mes invités.
    Il confia à sa mère le soin de préparer le repas. Nous fûmes comblés par les restes d’un énorme brochet à l’oseille, des cailles aux truffes et un bergerac de grande année.
    François prit un ton lyrique pour me lancer :
    – Antoine, tu dois cesser de tergiverser. Tu as deux chevaux à ta disposition pour t’engager dans la vie : l’un vieux et fatigué, l’autre fringant. Ne me dis pas que tu vas hésiter encore longtemps alors que le devoir t’appelle. D’ici peu, cinq divisions de la garde nationale des provinces, commandées par le général La Fayette, vont se rassembler sur le Champ-de-Mars. Je vais en être !
    – Grand bien te fasse, murmura Héloïse. Comment as-tu obtenu ce grade de sergent ? À la chasse au canard ?
    Il tapa du plat de la main sur la table et bougonna :
    – Si tu étais un homme, ma drôlesse, tu aurais reçu le contenu de mon verre à la figure et j’aurais eu plaisir à te provoquer en duel. Cesse de m’interrompre, je te prie.
    Il poursuivit :
    – Sache, Antoine, que les gradés de la garde sont élus démocratiquement, et pas, comme naguère, en vertu de leurs titres de noblesse. Alors, décide-toi à me rejoindre avant que j’en demande la permission à ton géniteur !
    À ma grande surprise, ce fut Héloïse qui lui répondit :
    – François, laisse Antoine agir à sa guise. Je sais qu’il détesterait jouer aux soldats. Nous allons célébrer nos fiançailles. Alors ne lui chante pas ta chanson !
    Mon étonnement, en entendant François éclater de rire, ne fut pas moindre. Il s’exclama :
    – Nom de Dieu ! voilà qui s’appelle parler. J’aime les femmes qui ont du caractère, même si
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