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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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sa carriole.
    Elle me proposa de partager le pain, le fromage et le vin de son mérindé, l’en-cas de la mi-journée. Je lui répondis par une invitation à me suivre à l’auberge tenue par Jeanne Fournier, le Tapis vert qui, comme son nom l’indique, accueille les amateurs de jeux de cartes. Elle accepta. En moins d’une heure, j’appris d’elle tout ce qui pouvait satisfaire ma curiosité, sans pour autant en venir à des confidences prématurées.
    De retour sur le marché, alors qu’elle avait un pied sur sa carriole, je lui demandai la permission de l’embrasser, ce qui, son rire me le confirma, ne parut pas la choquer. Je repartis avec en mémoire quelques images de cette joliedrôlesse au visage rond et rose comme une pomme, robuste sans être masculine, et dont la conversation m’avait séduit.

    Ce prélude à des relations suivies et plus intimes n’avait pas échappé à ma famille, la rumeur publique n’ayant pas tardé à l’en informer.
    – Antoine, me dit mon père, je n’y vois pas d’inconvénient. Les Bonal n’ont aucun titre de noblesse, mais ils ont une bonne renommée et du foin dans leurs sabots. Comptes-tu donner suite à cette aventure ?
    La question me prenait de court, si bien que je restai bouche bée. Il ajouta :
    – Je te rappelle que tu vas bientôt quitter Barsac pour faire tes universités à Périgueux, ce qui passe avant tout.
    Mon père avait pris en main ma destinée. Mes études achevées, à Périgueux puis à Paris où nous avions de la famille, me destinaient selon lui à la magistrature ou au notariat. Il était persuadé, à tort, que je n’avais aucun goût pour l’administration du domaine familial, et sa volonté primait la mienne.

    Il n’y avait pas une journée de cheval de Périgueux à Barsac, ce qui me permettait de retrouver, le temps des congés, ma nouvelle amie et d’envisager des fiançailles, après quelques années de relations suivies. Ma famille ne faisait pas obstacle à ce projet, ni celle d’ailleurs de ma future compagne, ces roturiers se faisant un honneur d’avoir un noble, aussi modeste fût-il, dans sa parenté.
    Les événements en décideraient autrement. La table, comme on dit, était dressée, mais le repas n’était pas prêt…

    Au cours d’un de mes séjours à Sarlat, sur la fin de mes universités, je retrouvai un personnage qui allait tenir dans ma vie une place de premier plan : François Fournier, fils de la tenancière du Tapis vert. J’avais convié Héloïse à ydîner. Il était présent et me dit en posant une bouteille de bergerac sur notre table :
    – Il me semble que nous sommes du même âge, Antoine. Je suis né en soixante-treize, et toi de même, je crois bien. Il faut qu’on parle. Je viens de prendre une décision importante : mon inscription au registre de la garde nationale de Sarlat.
    Je ne pus lui cacher ma surprise. N’était-il pas destiné, après ses études dans un collège religieux de Gourdon, à seconder le notaire de Sarlat, maître Levelle ? Il m’avoua que, après quelques mois d’apprentissage, il avait été renvoyé pour s’être livré à des malversations.
    – Aujourd’hui, ajouta-t-il, je suis libre et bien décidé à prendre les armes. Tu devrais m’imiter. Ni toi ni moi ne sommes faits pour moisir derrière un bureau. Je vais en parler au capitaine.
    – N’en fais rien ! Je tiens à poursuivre mes études. D’ailleurs, je n’ai guère de goût pour l’uniforme, et moins encore pour les armes.

    Cette année-là, il nous venait de Paris des échos inquiétants : la Révolution était en marche. Je m’informais dans un cabinet de lecture de Périgueux et dans celui de Sarlat quand je revenais dans ma famille. J’en parlais volontiers avec Héloïse qui, à défaut d’avoir des connaissances en matière de politique, était dotée d’un bon sens naturel.
    C’est ainsi que nous avons appris ce fait sans précédent dans notre histoire : la prise de la Bastille par le peuple de Paris, le 14 juillet. Peu après, la nuit du 4 août avait sonné la fin des privilèges, et l’invasion du palais royal par des émeutiers, prémices de la Révolution.
    Lorsque je rapportai ces nouvelles à mon père, je surpris des larmes sous ses paupières fripées. Il me dit :
    – Tout cela m’attriste, mon petit, mais pourquoi diable notre malheureux souverain s’est-il enfui comme unmalfaiteur ? Grâce à Dieu, tous ces événements se passent loin de
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