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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse
Autoren: Michel Peyramaure
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l’acheter, cet officier a rigolé, disant qu’il ne la voyait pas montée par un sergent de la garde nationale. Là, tu me connais, Antoine, mon sang a commencé à bouillir. J’ai failli lui mettre la pointe de mon sabre sous les moustaches, mais j’étais ivre et il ne semblait pas tombé de la dernière pluie. « Prudence », me suis-je dit. J’ai tenté de lui voler sa jument dans le bivouac, mais il aurait fallu égorger la sentinelle, et ça ne se fait pas.

    Il m’invita pour fêter son retour à une réception dans l’hôtel qu’il avait loué rue d’Albusse, en me disant de « venir seul ». Je compris ce qu’il entendait par là et me gardai d’informer Héloïse de l’événement. Elle ne serait pas venue, d’ailleurs, car elle me battait froid.
    Je devinai d’emblée que sa présence eût été déplacée, François ayant convié à ce banquet, avec quelques officiers, un quarteron de créatures recrutées dans les lieux mal famés.
    Lorsque je me présentai sur mon trente et un, la fête battait son plein autour d’une vaste table chargée de victuailles, de bouteilles et de chandelles. Je ne méprisai pas ces agapes dignes de Capoue et ces vins qui font la renommée de notre province : monbazillac, bergerac, pécharmant, et j’en passe.
    François avait placé à ma droite une fillasse rousse comme les tuiles de Barsac qui, si elle manquait de conversation, avait en sous-œuvre un jeu de jambes qui ne me laissait pas indifférent.
    Minuit approchant, la soirée, animée par deux violons, une vielle et un chalumeau, était à son apogée, François ayant fait éteindre une bougie sur deux pour donner un peu d’intimité à la suite de ces agapes.
    Ivre et chauffé à blanc par la diablesse rousse répondant au sobriquet de Sémiramis, le puceau que j’étais se crut transporté dans le paradis d’Allah, sauf que nous n’avions pas des vierges pour compagnes. J’ignorais comment me comporter ; elle savait.
    Je venais d’allumer un cigare quand cette houri me dit en me l’ôtant des lèvres après les premières bouffées :
    – Jette cette chose puante, mon chéri ! J’ai des senteurs plus agréables à te faire respirer. Suis-moi !
    Je m’exécutai en chancelant, persuadé que ma virginité était en danger de mort. Sémiramis semblait familière des lieux. Elle me mena droit, à travers les prémices de l’orgie, vers un cabinet qui avait dû servir de cagibi au propriétairecar il dégageait une odeur de fruits et de légumes en putréfaction.
    La fille posa la chandelle sur une panière d’osier en chuchotant :
    – Un peu de lumière ne sera pas de trop. J’aime savoir avec qui je cause.
    La suite de cette « causerie » intime, je la laisse deviner. J’en tirai de la fierté, ayant sans faillir fait mes preuves. Alors que le jour pointait par la lucarne, Sémiramis me dit :
    – Il est temps de décamper, mon chéri. Les femmes de ménage vont arriver. Tu ne vas pas me quitter sans un petit souvenir ?
    Elle glissa dans son bas le louis que je lui offris pour ses bons et loyaux services, moucha ce qui restait de chandelle et disparut dans un frou-frou de satin, après m’avoir déposé un baiser sur la joue.

    J’ai conscience de m’attarder, plus que de raison et non sans plaisir, à la crête d’une vague de souvenirs rappelant mes débuts sous les armes, comme si, sciemment, je retardais le moment d’évoquer la grande tourmente qui allait m’emporter, quelques années plus tard, sous les murs de Saragosse.
    J’ai pourtant failli m’engager sur une autre voie.
    Nous avons comme voisins les plus proches les barons de Beauregard, dont le château a une tout autre allure que notre modeste bicoque. Il domine de vastes espaces de prairie, de forêt de chênes et de châtaigniers, entre Vergt et Villamblard. Ses fossés, ses hautes courtines, flanquées de quatre tours à mâchicoulis et d’un pont-levis, remontaient dit-on au-delà de la guerre de Cent Ans. Il n’en reste rien.
    L’intérieur, que j’ai visité en de rares occasions, est sombre et glacial : un domaine hanté, comme en attestent de nombreux portraits de famille.
    La première fois que j’ai mis les pieds dans cette sinistre demeure, c’était à l’invite du fils aîné, Arnaud. Entré depuis peu à la garde nationale, il ne rêvait que d’en sortir au plus vite. Long et pâle comme une asperge, timide et frileux, il manquait d’allure et semblait attendre de moi, son
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