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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
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profond) que mille courants contraires s’affrontaient en lui, comme si mille rivières d’égale force s’y étaient trouvées mêlées, cherchant chacune à s’imposer.
    Ce fleuve était si large qu’aucun homme n’aurait envoyé bille de fronde sur son autre rive. Il te prit l’envie folle de sauter par-dessus, même si c’était totalement insensé. Tu esquissas un sourire – l’idée t’avait plu – et te sentis pousser des ailes. Courir t’était facile, le froid ne t’atteignait plus. Tu n’étais peut-être qu’un enfant, mais tu te sentais un géant !
    Et tu ouvris les yeux.
    Derrière toi, à quelques pas seulement, ton père était là, ta sœur dans les bras. Il courait, lui aussi, la bouche ouverte, son haleine s’élevant dans la nuit, grande colonne froide bientôt ruinée par les galops des cavaliers qui les suivaient.
    La rivière ! Tu compris pourquoi ta mère t’avait dit d’aller là. Elle était gelée. Sa couverture de glace te permettrait de passer, alors que les cavaliers – fussent-ils Dieu et ses anges – seraient obligés de mettre pied à terre, et peut-être même d’ôter leur cuirasse étoilée pour déployer leurs ailes et la franchir en volant.
    Ton père haletait, crachait, souffrait. Tout cela en vain, car les cavaliers le talonnaient, et le rattrapaient facilement. S’il avait été veule, il aurait abandonné ta sœur, l’aurait jetée sur le sol pour qu’elle retarde ses poursuivants et cesse de le ralentir – mais il était brave, ou fol, et la gardait avec lui. Mieux, il la pressait sur son cœur, comme s’il avait voulu l’avaler, la faire rentrer en lui, pour ensuite, d’un bond, s’étant ramassé sur lui-même, franchir le fleuve au-dessus duquel tu t’étais engagé.
    Sa surface était terriblement glissante, et tu prenais mille précautions pour ne pas perdre l’équilibre. « Si j’avance comme il faut, et si j’arrive à m’élancer convenablement, je pourrai atteindre l’autre rive en moins de cinq ou six battements de cœur. En avant ! »
    La glace craqua mais tint bon, et te permit de te diriger vers ta sauvegarde – et la mort des tiens.
    Car à peine avais-tu atteint l’autre rive que le sillon de glace que tu avais tracé derrière toi commença à se fendiller, se transformant en crevasse, en abîme au-devant de ton père.
    Celui-ci, pourtant, ne recula pas. Pas question de lâcher sa fille ! Il continua d’avancer vers le milieu de la rivière, sans te quitter des yeux.
    — Morgennes ! cria-t-il. Regarde-moi !
    Tu regardas ton père, t’accrochant à ses yeux, comme si tu avais le pouvoir, toi le rescapé, de sauver ce bientôt naufragé.
    — Je t’aime !
    Les cavaliers approchaient, leurs chevaux se cabrant puis retombant de tout leur poids sur les premiers pouces de glace, qu’ils brisaient de leurs fers, sacrifiant au dieu de la rivière ses premières victimes.
    La glace se rompit. Mille fentes coururent en tous sens, se rejoignirent, se disjoignirent et se heurtèrent, tant et si bien qu’à la fin la surface de la rivière ressemblait à une toile d’araignée venue de l’autre monde, là où le noir était blanc et le blanc noir.
    Ils étaient perdus. L’eau s’empara d’eux, ils sombrèrent accrochés l’un à l’autre. Pour rien au monde ton père n’aurait lâché sa fille. Ce n’était pas encore la fin. Pas tout à fait. Avec l’énergie du désespoir, il trouva la force d’ouvrir sa chemise et d’en sortir la petite croix qui ne l’avait jamais quitté. Il la baisa, une dernière fois, la montra aux cavaliers qui en avaient après lui et qui déjà pointaient leurs arcs dans votre direction, et la jeta vers toi.
    — Morgennes !
    — Papa !
    — Va vers la croix ! La croix !
    Tu te précipitas vers cette croix, tombée à quelques pas seulement de toi, quand un bruit liquide attira ton attention.
    C’était ton père, il était mort. Des bulles remontèrent à la surface, des bulles bientôt prises par la glace, la glace où une petite main d’enfant, opaque et sombre, sembla se dessiner, puis disparut.

3.
    « On ne peut passer un cheval. Il n’est ni pont, ni bac, ni gué. »
    ( CHRÉTIEN DE TROYES ,
Perceval ou le Conte du Graal. )
    « Mort ! Je suis mort ! »
    Morgennes passa les mains sur son corps, se pinça les joues, se mordit les doigts, se frotta les mollets : tout allait bien ! Hormis cette blessure au front, déjà couverte d’une croûte de sang
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