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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
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bas : « Sept ans ! Sept ans ! »
    Personne ne le savait, il n’y avait aucun témoin, mais Morgennes venait de faire ses premiers pas dans la légende. Pendant de longues années, il vécut seul au milieu des arbres, se nourrissant de racines, de plantes, d’œufs, de fruits et de petits animaux qu’il capturait en fabriquant des pièges ou en leur jetant des cailloux.
    La première étape consista à établir, sur la berge du fleuve, une manière de chaussée. Les dalles de l’église trouvèrent là une seconde vie, plus belle que la précédente, car plus utile. Tout en travaillant, après s’être cassé les ongles à desceller des pierres énormes, Morgennes se remémorait sa vie passée, parlait à ses parents, parlait avec sa sœur – qui s’amusait à le narguer en le voyant peiner à transporter des pierres aussi grosses que lui.
    — Aide-moi plutôt, au lieu de te moquer ! lui disait-il.
    Alors elle courait autour de lui en tapant dans ses mains, et avec elle il revivait tel moment de son passé, où il avait été heureux, parce que sa sœur et ses parents étaient encore en vie. Le printemps arriva, puis un premier été. Les bois résonnèrent de chants d’animaux et de craquements divers, qui étaient autant d’encouragements pour Morgennes. D’ailleurs, son ouvrage avançait. Six mois ne s’étaient pas écoulés que déjà un premier tapis de pierres courait de la berge du fleuve au milieu de son lit.
    Le plus étrange, c’est que tout en sentant sur son ventre le poids des grosses pierres qu’il transportait, Morgennes était heureux. Car si le fleuve avait été la tombe de son père et de sa sœur, son pont serait leur mausolée.
    Passant un bras trempé sur son front dégoulinant de sueur, il considéra son ouvrage, et se dit qu’après tout, ce n’était pas si mal. Pour un enfant…
    Soufflant, souriant, il repartit vers la petite église, qu’il désossait jour après jour. Il s’était fait, dans un coin, une espèce de cabane, avec un toit de branchages et un sol de joncs. C’était sa nouvelle demeure. Il y prenait, la nuit, quelques heures de repos – imposées par le manque de lumière. Quand il fermait les yeux, invariablement, des images revenaient. Toujours les mêmes. Cinq cavaliers chargeaient ses parents, les poussant dans une grande fosse, que les eaux recouvraient. Morgennes, lui, se tenait de l’autre côté du trou, indemne, et regardait les cavaliers…
    Serrant le poing, il se réveillait haletant, le visage crispé, se promettant de retrouver ces cavaliers. « Même si je dois aller au Paradis, même si je dois aller en Enfer, je vous ferai payer ! Fussiez-vous Dieu et tous ses anges… »
    Ainsi, portant le poids de ses souvenirs, celui de sa colère, et récitant en guise de prière chacun des instants vécus en compagnie de sa famille, Morgennes passa toute son adolescence à démonter une église et à construire un pont. Les pierres s’ajustaient d’elles-mêmes, comme si avant d’être une église, l’église avait été un pont – ce même pont qu’il travaillait à rebâtir.
    Avec les années, ses muscles se raffermirent. Il gagna en robustesse. Ce qui au tout début réclamait des semaines de labeur n’en demanda plus qu’une. Quand il se trouvait au fond de l’eau, à déplacer des pierres dans la vase, il pensait aux lames que son père frappait à grands coups dans sa forge. Chauffées, trempées, martelées, recuites puis à nouveau plongées dans un baquet d’eau froide (qu’elles transformaient en vapeur), pour être encore une fois frappées, et ainsi de suite. Lame lui-même, forgé dans l’eau du fleuve, contre-forgé par les intempéries et les brûlures de l’été, Morgennes devenait Morgennes. Vint un jour où, en apercevant un reflet dans l’eau, il fit un bond de côté. Un homme était là, derrière lui. Il se retourna, mais il n’y avait personne. Pourtant… Regardant de nouveau dans l’eau, il vit un étranger. Mais cette fois il rit. Cet étranger, c’était lui ! Il passa une main dans sa barbe naissante, se toucha les cheveux. Étaient-ils si longs que ça ? Ils lui arrivaient en bas du dos !
    Sa croix de bronze en main – elle était maintenant bien usée –, il repartit vers sa chapelle, mélange de ruines et de chantier. Sa voûte avait servi au pont. Ses murs et ses colonnes avaient fourni les piles et la travée principale était issue de ses dalles. Portant dans ses bras les deux
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