Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
Vom Netzwerk:
ce qu’il faut, prenez ma vie, mais par pitié, sauvez-les ! Tant pis si nous sommes damnés… De toute façon, nous le sommes déjà.
    Puis elle s’évanouit.
    Le rebouteux, profondément ému par la détresse et le courage de ce couple, posa les mains sur les épaules de ton père, et lui dit :
    — Ce que j’ai à vous proposer, je ne l’ai jamais pratiqué. Je n’en connais que la théorie, et votre femme peut mourir, ainsi que vos deux enfants. Êtes-vous prêt à prendre ce risque ?
    — Oui, répondit ton père. Nous sommes prêts. Tous les quatre.
    Et il insista sur ce dernier mot, car pour lui vous étiez déjà quatre, les quatre membres d’une même famille.
    — Alors, menez-moi à votre forge…
    Les deux hommes se rendirent à l’atelier, où le rebouteux choisit quelques outils dont ton père n’aurait jamais pensé qu’ils puissent servir à travailler la chair. Tordre le fer, l’aplatir, le courber, oui. Mais le ventre d’une femme était-il en métal, pour qu’on le scie et l’ouvre ainsi ? Il eut un moment d’hésitation, mais le rebouteux avait si bonne réputation, c’était un homme tellement sage – qui avait, disait-on, suivi jadis les enseignements de Rachi de Troyes – qu’il décida de lui faire confiance.
    De retour au logis, le rebouteux dit à ton père.
    — Tenez-la !
    — Mais elle est inconsciente…
    — La douleur sera vive, elle risque de se réveiller.
    Lorsqu’il appliqua ses instruments sur ta mère, celle-ci reprit conscience, poussa un cri, puis chercha ton père des yeux et le fixa du regard. Les malheureux n’étaient plus qu’un, et peu leur importait de souffrir. Seule comptait votre survie.
    — Tenez-la mieux !
    La poigne de ton père s’affermit, clouant ta mère sur sa paillasse. Elle avait grand mal à respirer, et son corps était en sueur, ce qui la rendait malaisée à tenir. Ton père lui caressait les cheveux, il oubliait son devoir. Le rebouteux s’affairait entre les jambes de ta mère, il soufflait, il s’épuisait – en vain.
    — Je n’y arrive pas ! s’écria-t-il. Je vois bien deux petits, mais ils se bloquent mutuellement. Il faut faire vite, ou ils périront…
    En vérité, le rebouteux pensait que les deux enfants avaient déjà rendu l’âme, et qu’il ne servait à rien de chercher à les épargner. La seule, à présent, qui se pouvait sauver, c’était ta mère. Mais tes parents n’étaient pas de cet avis. En cette nuit d’hiver, leur vie venait de s’arrêter. Il n’y avait plus que vous deux, les jumeaux. Si vous ne viviez pas, ils mourraient – et même si vous viviez, ils ne vivraient qu’à travers vous.
    — Que pouvons-nous faire ? s’enquit ton père d’une voix mortifiée.
    — Sacrifier l’un des deux, hoqueta le rebouteux. Afin que l’autre vive.
    Un long silence, qui ne dura que la moitié d’un battement de cœur mais leur parut durer toute une vie, s’abattit sur la pièce.
    — Mais lequel ?
    — Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, dit le rebouteux. Ils sont deux… À vous de choisir. Si vous voulez que l’un vive, il faut que l’autre meure.
    À ce moment, ta mère s’empara de la main de ton père. Elle la serra de toutes ses maigres forces et lança dans un cri :
    — Sois maudit, Seigneur ! Sois maudit !
    Ton père effectua un rapide signe de croix, et marmonna une prière. Dieu n’y était pour rien. C’était lui le coupable, lui seul et personne d’autre…
    — Laissez-moi faire, dit-il. Pardonnez-moi, Seigneur, car je vais ôter une vie, une pour en sauver deux.
    Il se plaça auprès de son épouse, et tira d’un fourreau accroché à sa ceinture cette sorte de dague appelée « miséricorde », dont la lame est si fine qu’elle peut être glissée entre les parties rigides de n’importe quelle armure – a fortiori le ventre d’une femme. Les flammes du foyer se reflétant sur son visage, il poussa un hurlement, planta sa dague dans l’un des deux tout petits crânes, et fut aspergé de sang.
    Puis il céda sa place au rebouteux, qui termina l’ouvrage en s’aidant d’un crochet.
    Une puanteur métallique envahit la pièce. Le rebouteux pleurait et murmurait des paroles en hébreu. On aurait dit qu’il délirait. C’était peut-être une prière.
    — Fermez-lui les yeux, cria-t-il à ton père. Fermez-lui les yeux !
    Ton père posa les mains sur les yeux de ta mère, qui chercha à le mordre, parce qu’elle voulait
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher