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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
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miséricorde, c’est la mort de l’enfant à qui tu dois la vie…
    Trop troublé pour répondre, tu plongeas ton regard dans celui de ton père. Alors tes lèvres s’entrouvrirent et laissèrent échapper :
    — À qui je dois la vie ?
    Tu ne comprenais pas. De quel enfant parlait-il ? À ta connaissance, tu ne devais la vie qu’à tes parents.
    Il y eut un craquement à l’entrée de la forge, et ton père se retourna pour voir ce qui l’avait produit. C’était sa fille, qui l’observait sans piper mot. Depuis combien de temps était-elle là ? Avait-elle assisté à toute la scène ? Probablement, car elle avait une mine grave, et son regard passait de ton père à ta joue, rougie par la gifle reçue.
    Elle brisa le silence en lançant de sa jolie voix flûtée :
    — Maman dit qu’il n’y a plus de bois.
    — Morgennes, va en chercher ! ordonna aussitôt ton père, trop heureux de ce prétexte pour mettre un terme à votre discussion.
    Malgré le froid qui s’était abattu sur la région – l’hiver, encore une fois, était précoce –, tu détalas vers l’orée de la forêt, où ton père avait amoncelé bûches et fagots de bois, en prévision des mauvais jours.
    « Maman dit qu’il n’y a plus de bois », répétas-tu tout en courant. Cette phrase sonnait curieusement. Tu la trouvais étrange. Pourquoi ? D’ailleurs, comment pouvait-il ne plus y avoir de bois, alors que ce matin encore la réserve était pleine ? Tout en ramassant quelques branches, tu repensas à votre demeure. Pas de doute ! Quel que fût l’endroit où ta mémoire t’emmenait, il y avait de quoi se chauffer pour l’hiver – fût-il aussi rude que celui de ta naissance. Ta sœur avait-elle menti ? Avait-elle inventé cette histoire pour te permettre de t’éloigner ? Ou bien avait-elle dit autre chose ?
    « Maman dit qu’il n’y a pas de bois ! » Pas de bois, et non plus de bois ! Ce n’était peut-être pas de bois de chauffage que parlait ta sœur, mais d’un autre bois. D’un bois, certainement, en rapport avec la raison pour laquelle ton père t’avait giflé. En rapport avec la miséricorde avec laquelle tu t’étais amusé. En rapport avec la petite tombe !
    C’est alors qu’un premier choc, un souvenir, te fit tomber à terre, les genoux dans la neige.
    Tu avais oublié ! Une dispute entre tes parents, l’une de leurs rares disputes – peut-être leur unique, leur seule dispute…
    Le petit mort !
    Ils s’étaient disputés à son sujet, peu après ta naissance. À l’époque, pour toi, leurs paroles avaient été vides de sens. Mais maintenant tu comprenais. Ce que ta mémoire ressuscitait, le reste de ton cerveau le déchiffrait, t’en livrant la signification.
    Ta mère voulait oublier, ton père se souvenir. Oui, comme il l’avait promis, il voulait se rappeler ce petit corps massacré, son crime… Alors, tout en cédant aux exigences de ta mère, qui avait demandé à ce qu’une certaine tombe ne fût jamais marquée d’aucun symbole religieux, il avait rétorqué :
    — J’y mettrai quand même une croix !
    Ta mère s’était jetée sur lui, toutes griffes dehors. Guidée par la colère, elle lui avait lacéré le visage, si bien qu’aujourd’hui encore il en portait les traces – qu’il attribuait à un ours.
    Finalement, ton père était allé se réfugier dans son atelier, où il avait fabriqué une croix. « Rien n’en ternira jamais l’éclat », avait-il dit à sa femme en lui montrant la belle croix de bronze qui ne devait plus quitter sa poitrine avant l’événement que tu sais.
    — De toute façon, avait-il crié à sa femme, il n’y a personne, là-bas, sous cette motte de terre. Personne ! S’il y a quelqu’un d’enterré quelque part, c’est ici !
    Il se frappa la poitrine.
    — Là, dans mon cœur. C’est ici sa tombe. Et j’y mettrai une croix, parce que tel est mon souhait.
    Et il avait passé, autour de son cou, la croix de bronze qu’il sortait de temps à autre, dans le secret de son atelier, pour la baiser. Mais jamais il ne la laissait voir quand il était auprès de son épouse – estimant qu’ils étaient tout autant l’un que l’autre dans leur droit, quand lui voulait se rappeler, et elle oublier, le crime qu’il avait commis.
    « Il n’y a pas de bois ! »
    Tes mains tremblèrent comme jamais. Tu les frottas l’une contre l’autre, dans l’espoir de les réchauffer. Mais ce n’était pas de froid
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