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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
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enfant ?
    — Qui te l’a dit ? demanda ta mère.
    — Alors c’est vrai…
    — Oui.
    Ta mère rougit, et s’essuya les mains sur son tablier. La trentaine passée, elle était encore belle, malgré les profondes rides et les innombrables cheveux blancs qui ornaient son visage – legs de l’affreuse nuit de ta naissance.
    — Je voulais t’en faire la surprise.
    — La surprise ! Mais quand, comment ?
    Fou de joie, ton père prit ta mère dans ses bras et la souleva de terre, lui faisant faire plusieurs fois le tour de la pièce en tournoyant sur lui-même.
    — Merci, mon Dieu, merci !
    Il reposa ta mère sur le sol, où elle se laissa choir, tout étourdie, puis lui tourna le dos. Là, il sortit de sous sa chemise une croix de bronze qu’il avait façonnée lui-même, dans sa forge, et la couvrit de baisers en cachette de sa femme.
    — Merci ! Merci ! Merci !
    Son regard était celui d’un fou, et il ne savait pas qui de sa femme, de son fils ou de sa croix il avait le plus envie d’embrasser. Il était heureux, heureux comme jamais. En cet instant, tes parents se crurent pardonnés, et les années qui suivirent furent de belles années.
    Deviner que sa mère est enceinte, passe encore. Mais connaître à l’avance le sexe de l’enfant, voilà qui ne s’expliquait pas. Car tu avais vu juste, et l’enfant qui naquit, par un beau matin de printemps, fut une petite fille – une adorable fillette, aux cheveux blonds et aux yeux qui choisirent, après quelques hésitations, de se fixer sur le bleu.
    Ta sœur était une enfant vive et gaie, qui donna beaucoup de joie à tes parents. La maison résonna bientôt de ses rires, ce qui changea des coups de marteau et du souffle de la forge.
    La nuit, pourtant, devait revenir. Déjà, elle avait commencé de tomber sur les environs de Vézelay, quand en l’an de grâce 1146 Sa Sainteté le pape Eugène III avait ordonné à Bernard de Clairvaux de prêcher une nouvelle croisade pour aller en Terre sainte, libérer… À vrai dire, on ne savait quoi – le tombeau du Christ étant aux mains des chrétiens depuis presque cinquante ans ; mais certains roi de France et empereur d’Allemagne avaient envie d’avoir, eux aussi, leur part de gloire et d’être comptés parmi les « humbles protecteurs du Christ ».
    Comme souvent, donc, la nuit se fit annoncer, par des rumeurs de guerre. Des hommes partaient en rejoindre d’autres, qui se battaient dans un lointain pays pour défendre une croix – ou un tombeau, tu n’arrivais pas à savoir, malgré les bribes d’informations qui te parvenaient aux oreilles. Car bien que vivant à l’écart du monde, et dans un lieu assez peu fréquenté, ton père avait eu à répondre à de nombreuses commandes – épées et dagues de qualité devenant brusquement recherchées.
    Tes parents t’avaient toujours maintenu à l’abri de la violence. Ils estimaient que celle de ta naissance suffisait. Aussi, bien que ton père en fabriquât de fort belles, ne te laissèrent-ils jamais approcher des armes qui sortaient de son atelier, ni ne te parlèrent de ces sortes de soldats appelés chevaliers dont les trouvères contaient les prouesses – mais passaient sous silence les malheurs qui, invariablement, les suivaient, comme la peste après les rats.
    Malheureusement, on ne peut empêcher les coups de marteau portés sur la lame d’une épée d’atteindre l’oreille d’un enfant, et quand ceux-ci résonnent depuis sa plus petite enfance, l’enfant finit par les comprendre. C’est ainsi que tu tournais, tel un goupil autour du poulailler, dans les parages de la forge où s’activait ton père, et dont tu percevais les sons, les odeurs, et la sourde chaleur.
    Un jour, ton père entra dans la forge et t’y surprit en train de manier une dague, avec laquelle tu donnais de grands coups dans le vide. Feintant à droite, feintant à gauche, on aurait dit que tu savais te battre alors que tu n’avais, de ta vie entière, jamais assisté à un combat. À ce spectacle, ton père blêmit. Cette arme, c’était la miséricorde dont il s’était servi lors de ta naissance ! Pour la première fois, il te gifla. Sonné, tu lâchas l’arme, qui tomba à tes pieds. Ton père t’interrogea, en la pointant du doigt.
    — Sais-tu ce qu’est cette arme, et ce qu’elle signifie ?
    Tu te mordis la lèvre inférieure et restas coi, tandis que ton regard s’embrumait.
    — Cette arme, poursuivit ton père, cette
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