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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
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séché, il paraissait en parfaite santé. Mais pourtant non, il devait être mort. Il était mort. Il le savait… Son corps et ses sens lui mentaient.
    « Comment puis-je être en vie, alors que vous êtes morts ? »
    Il jeta un coup d’œil à l’autre rive, où la nuit était totale – si totale qu’elle semblait irréelle. Morgennes appela sa mère, qui ne lui répondit pas. Il appela son père. Silence. Sa sœur. Silence. Il fit quelques pas le long de la rivière, dont à présent le grondement l’avertissait : « Tu ne retraverseras pas. »
    Morgennes tapa dans une motte de terre, durcie par le gel, et se fit mal au pied. « Et si je traversais quand même ? » Il n’osait regarder le fleuve ; il n’osait, et cependant il regardait – avec un air de défi. « Je retraverserai. Pas maintenant, pas comme ça… Mais je sauverai les miens ! »
    — Foi jurée !
    Une angoisse le saisit. Violemment. Il était sur le point d’étouffer. Des larmes coulaient sur ses joues, puis tombaient dans la neige, où il s’effondra à son tour. Combien de temps resta-t-il ainsi ? Combien de jours ? Combien de nuits ?
    Nul ne le sait.
    Un matin il se réveilla, un corbeau près de lui.
    Sans même s’en apercevoir, Morgennes fit un mouvement – attrapa le corbeau, et lui tordit le cou. L’oiseau servit de repas. Quand il eut fini de manger, il regarda autour de lui… Là, dans la neige, une croix… Son éclat, peut-être, avait attiré le corbeau. Elle brillait, insensible et froide, se moquant bien du drame qui s’était joué.
    « Va vers la croix ! »
    Morgennes entendit son père. Comme si c’était hier. Ce matin. Maintenant. Il se redressa, posa la main sur la croix et ressentit une telle brûlure qu’il la lâcha aussitôt. Un serpent l’aurait-il mordu ? Il regarda sa paume. Rien. Sinon une trace d’un rouge un peu vif, qui s’estompait déjà. Ce rouge, il lui rappelait la gifle que lui avait donnée son père. Il passa la main sur sa joue, et sentit une douce chaleur. Des forces lui revenaient. Il s’interrogea :
    — Que faire ?
    Retraverser.
    — Mais où ? Comment ?
    Construire un pont.
    — Un pont ? Mais avec quoi ?
    « Va vers la croix ! »
    Morgennes se retourna, regarda la forêt. Là-bas, entre les arbres, il aperçut une croix. Elle était posée au sommet d’une chapelle abandonnée dont les seuls fidèles étaient les arbres, quelques oiseaux et une famille d’écureuils roux.
    Alors Morgennes se dit « Chapelle, de toi je ferai un pont ! »
    Il venait de prendre l’une des plus importantes décisions de sa vie. Il bâtirait un pont – il ne savait pas encore comment, mais il le ferait. Et ce pont résisterait à la glace et aux remous du fleuve, et même à Dieu et à tous ses anges. Nul n’aurait plus peur. Nul ne se noierait plus. « Je suis la nuit, se dit Morgennes. Celle qui unit le crépuscule à l’aube. La nuit. Celle qui sépare, celle qui unit. Je suis la nuit. J’ai tout mon temps… »
    Avec une volonté rare chez un enfant de dix ans, et même chez un adulte, il partit en direction de la chapelle. Ses pierres, rongées par les lichens, étaient à moitié disjointes. Ses vitraux étaient cassés et son toit effondré. De la mousse avait poussé sur sa base, lui faisant épouser la forêt. Un mince rai de lumière tombait du ciel en plein sur sa croix de pierre.
    « Va vers la croix ! »
    Était-ce celle-ci dont son père lui avait parlé ? Connaissait-il l’existence de cette église ? Pourtant, à sa connaissance, personne n’était jamais venu par ici, dans la Gaste Forêt. Oui, mais son père avait beaucoup voyagé, autrefois…
    Morgennes s’approcha de l’antique bâtisse, se demandant : « Qui t’a construite ? Quand ? Pour qui ? » Il n’y avait, dans les parages, nul hameau. Pas de maison. Rien que des arbres. Il promena sa main sur un mur, en éprouva la texture – mélange de pierre et de mousse. Morgennes poussa un soupir. « Cette église m’attendait. » Il retroussa ses manches, empoigna sa croix de bronze, la tint comme un outil, et se mit à l’ouvrage.
    Commença alors un travail enveloppé de mystères, dont Dieu seul a la clé. Combien de temps Morgennes mit-il pour bâtir son pont ? Quatre ans ? Cinq ans ? Généralement, je répondais sept – quand on m’interrogeait. Ce chiffre avait le mérite d’imposer le respect. Alors les gens hochaient la tête, et murmuraient tout
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