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Morgennes

Morgennes

Titel: Morgennes
Autoren: David Camus
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1.
    « L’heure est proche, elle sera bientôt là, où il vous faudra accoucher et vous délivrer de votre enfant. »
    (CHRÉTIEN DE TROYES, Guillaume d’Angleterre .)
    Tout commença, non pas lors de cette fameuse nuit, lorsque des cavaliers – des croisés – s’attaquèrent à tes parents, mais une dizaine d’années plus tôt. Et même un peu avant cela, si l’on considère que la vie débute avant la naissance, ce qui dans ton cas est certainement vrai.
    Ton père et ta mère n’avaient pas d’enfants, n’arrivaient pas à en avoir – et ne s’en consolaient pas. Un soir, après un long et fabuleux périple au cours duquel il parcourut le monde entier, ton père revint enfin chez lui. Il rapportait de son voyage une poignée d’herbes inconnues, dont il fit un brouet qu’il donna à sa femme. Quelques semaines plus tard, le sang de ta mère s’arrêta de couler.
    Elle était enceinte. Ils s’en réjouirent, et tandis que ta mère caressait son ventre, ton père y posa l’oreille, à l’affût des premiers signes de vie, et le couvrit de baisers – car c’était un homme aimant, bien différent des autres pères que je connais.
    Tout allait pour le mieux, et l’accouchement était prévu pour la Noël, lorsque au début de l’automne ta mère dit :
    — J’ai fait un rêve.
    — Moi aussi, dit ton père. J’ai rêvé de nos enfants.
    — Ils étaient deux, dit ta mère.
    — Non, dit ton père. Ils sont deux. Des enfançons éclatants de santé, qui feront notre joie et notre fierté.
    Ta mère eut un sourire, mais il était bien pâle, bien énigmatique. Pressentait-elle ce qui allait se produire ? C’est possible. Deux mois avant le terme, elle fut saisie de nausées. Elle s’en alla vomir son dîner, et avec lui des caillots de sang. Une odeur immonde emplit la pièce, et ton père annonça, sur un ton inquiet :
    — Je vais chercher le rebouteux.
    Le rebouteux. Ce n’était pas sans risque. Cependant, pour eux, c’était encore ce qu’il y avait de mieux : les vrais médecins étaient trop loin. D’ailleurs, ils ne se seraient jamais déplacés. Pas pour des gens comme tes parents…
    Alors ton père s’en alla. C’était la nuit. Le vent soufflait, à l’avant-garde d’un de ces hivers implacables où les loups rôdent, où tout fait proie.
    Il n’aurait jamais dû sortir. Mais pour vous deux, il affronta les loups et leurs coups de dents, se frayant un chemin parmi leurs corps étiques à l’aide de sa dague. Enfin, il parvint à la demeure du rebouteux. Là, à force de prières, et parce qu’il avait dans sa forge un peu d’argent caché et quelques herbes de valeur, il parvint à le convaincre de l’accompagner chez vous – et le voyage du retour se déroula tel qu’à l’aller. Le rebouteux examina ta mère, lui palpa le ventre, glissa la main entre ses cuisses, puis prit une mine grave et s’en alla trouver ton père. Ce qu’il avait à lui dire, il ne voulait pas que ta mère l’entende, aussi murmura-t-il :
    — Le travail a déjà commencé…
    Mais, avant que ton père ait eu le temps de se réjouir, le rebouteux se hâta d’ajouter :
    — Oubliez vos enfants, ou votre épouse mourra.
    Une plainte, un long gémissement, s’éleva de la couche où ta mère était allongée. « Noooon », criait-elle. « Noooon ! »
    Savait-elle ? Avait-elle l’ouïe incroyablement fine ? Ou ressentait-elle dans sa chair que le destin de ses enfants était en train de se jouer ? Toujours est-il que ton père s’approcha de sa femme. Et, lui prenant la main, il lui fit cette promesse :
    — Je ne les oublierai pas ! Jamais !
    Ensuite, il se tourna vers le rebouteux, et l’implora :
    — Sauvez-les. Je vous donnerai plus d’or que n’en rêvent les rois !
    — Vous n’avez presque rien !
    — J’ai été riche, autrefois… (La voix de ton père avait baissé d’un ton, lorsque soudain il ajouta :) S’il le faut, pour mes enfants, je puis reprendre mon ancien métier.
    Sans savoir à quoi il faisait allusion, le rebouteux se caressa la barbichette.
    — Malheureusement, l’or n’est pas le problème…, souffla-t-il.
    — Alors, quel est-il ? demanda ton père.
    — Le problème, fit le rebouteux doucement, presque honteusement, le problème c’est Dieu…
    Ton père n’eut pas le temps de répondre que déjà ta mère lançait, d’une voix que la colère emplissait de haine :
    — Oubliez Dieu ! Faites-le ! Faites
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