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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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recommencé à m’accompagner –, nous
    déposions quelque chose par la fenêtre de l’orphelinat du
    docteur Korczak et rapportions le reste à la maison, où nous
    l’avalions sur-le-champ.
    M. Milgrom nous a ordonné de nous éloigner de la fenêtre.
    En bas, les chants se sont poursuivis un moment avant de
    s’éloigner.

    Les mouches chantaient à nouveau. Les journées étaient
    chaudes, et les corps étaient froids, et les mouches chantaient
    en s’abreuvant aux yeux et aux furoncles des enfants. Personne
    ne détroussait les cadavres allongés sous les journaux, car ils
    n’avaient plus de vêtements ni de chaussures à voler, seulement
    des hardes. Je croyais voir les anges dissimulés derrière les yeux
    des vivants, attendant leur heure. Les anges et les corbeaux se
    croisaient, les uns partant, les autres arrivant.
    158

    Chaque jour, un défilé de charrettes chargées de corps
    remontait la rue Gesia jusqu’au cimetière.
    Les voleurs de nourriture pendaient aux réverbères, tels des
    fruits tristes, des pancartes autour du cou. Le joueur de flûte
    arpentait les rues en soufflant dans son pipeau, sans cesser
    d’appeler à le suivre.
    Le dimanche, les Bottes Noires et leurs amies venaient se
    pincer le nez, prendre des photos et nous jeter du pain, à nous
    les pigeons. Un soldat a bien fait rire les autres : il s’était mis
    une pince à linge sur le nez.
    Les vivres étaient de plus en plus difficiles à trouver, même
    au Paradis. Parfois, je ne rapportais que du pain moisi. Parfois,
    il n’y avait que de la graisse de cuisine accumulée au fond des
    poubelles. N’ayant pas de récipient, j’en prenais deux poignées
    et revenais avec. Les autres lapaient le gras à même mes doigts.
    En dépit de notre trafic, Janina n’avait cessé de maigrir. Son
    visage était devenu aussi maigre que celui d’un renard. Alors
    que tout en elle rétrécissait, ses yeux s’agrandissaient.
    Sinon, elle était redevenue elle-même, bavarde, geignarde,
    me suivant partout comme mon ombre, m’imitant en tout. Elle
    provoquait en moi un sentiment de gêne. J’hésitais à commettre
    les actes qui m’avaient toujours été naturels. J’avais arrêté de
    harceler Buffo pour qu’elle arrête aussi, mais ça n’avait pas
    marché. Elle est allée plus loin que moi, même. Elle est devenue
    le moucheron sur le nez de tous les Bouses qu’elle rencontrait.
    Elle les insultait. Leur jetait des pierres. Surgissait dans leur dos
    pour leur flanquer un grand coup de tuyau derrière les genoux.
    Je la giflais. Lui criais dessus. Rien n’y faisait. Je ne
    comprenais pas ses sautes d’humeur, ses éclats. En général,
    j’acceptais le monde tel qu’il s’offrait à moi. Pas elle. Elle me
    rendait mes gifles et me donnait des coups de pied. Avec le
    temps, j’ai fini par trouver le meilleur moyen, pour moi, de la
    supporter. Bien des fois, je me suis carapaté vers mon cratère de
    bombe préféré, m’y suis blotti pour lécher le gras figé entre mes
    doigts et, yeux fermés, me rappeler les jours dorés d’autrefois,
    où les dames sortaient des boulangeries en portant de gros sacs
    de pain.

    159

36

    Je marchais seul vers mon cratère de bombe. L’instant d’après,
    quelqu’un se tenait à mon côté. J’ai poussé un cri de joie.
    — Youri !
    Je ne l’avais pas vu depuis si longtemps. Je l’ai serré contre
    moi. Il m’a repoussé.
    — La ferme ! m’a-t-il ordonné. Contente-toi de m’écouter.
    Tu m’écoutes ? a-t-il ajouté avec une claque sur ma nuque.
    — Oui.
    — Tire-toi.
    — Tire-toi ?
    Il portait le même brassard bleu et blanc que moi.
    — Je ne te le répéterai pas. Tire-toi. Loin !
    — Loin d’où ? me suis-je exclamé, médusé.
    — Du ghetto. De Varsovie. De partout. Décampe, c’est tout.
    File. Et ne regarde pas en arrière.
    Le visage de Youri n’affichait ni cicatrices ni furoncles. Il
    avait des vêtements. Des chaussures.
    Un squelette aux yeux vides, couvert de haillons, a surgi
    devant nous. J’ai été incapable de dire si c’était un garçon ou
    une fille. Il a tendu la main. Youri a sorti un gros cornichon de
    sa poche. A mordu dedans. A retiré le morceau de sa bouche. L’a
    mis dans la paume tendue. Nous avons poursuivi notre chemin.
    — Pourquoi ? ai-je demandé.
    — Les déportations. Elles vont bientôt commencer. Ils
    nettoient le ghetto.
    — Les quoi ?
    — Déportations. Ils vont se débarrasser de vous. Vous
    mettre dans des
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