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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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votre
    entêtement. Pour vous !
    Janina a tiré sur la manche de son père.
    — Je veux prendre le train, papa.
    M. Milgrom lui a caressé la main.
    — Il n’y aura pas de train. Oncle Shepsel a raison. Ils ne
    peuvent rien nous faire de plus.

    163

37

    ÉTÉ

    Janina a été la première à l’entendre. Nous venions juste de
    rentrer au ghetto. Mes poches étaient bourrées de morceaux de
    chou pourri.
    — Qu’est-ce que c’est ? a-t-elle dit.
    Nous avons tendu l’oreille. Dans l’obscurité, un son a
    retenti, lointain, faible, métallique, grinçant.
    — Je sais pas, ai-je répondu.
    — Le train ! s’est-elle exclamée, toute contente.
    Elle a déguerpi. Dangereusement, au milieu de la chaussée,
    loin des ombres. Les oignons ont bondi hors de ses poches. Je
    lui ai couru après. Les claquements et les grincements étaient de
    plus en plus forts.
    — Janina ! Stop ! J’essayais de crier sans crier. Le couvre-
    feu commençait au coucher du soleil. La nuit était dangereuse
    pour tout le monde, pas seulement pour les trafiquants de
    nourriture.
    Je l’ai rattrapée. L’ai retenue par le bras tandis qu’elle
    tentait de me donner des coups de pied. J’avais envie de la
    frapper, mais j’avais trop peur de la lâcher.
    — Ils vont te tirer dessus, espèce d’idiote. Imbécile !
    J’ai senti ses épaules s’affaisser. Elle s’est calmée. Elle
    abandonnait. Je l’ai laissée. Soudain, elle s’est retournée, s’est
    hissée sur la pointe des pieds et m’a assené un coup de tête en
    plein sur le nez. J’ai piaillé. Les larmes ont envahi mes yeux.
    Quand j’ai enfin recouvré la vue, elle avait disparu.
    — Bien fait, ai-je chuchoté. Pauvre imbécile.
    J’ai lancé une pierre. J’ai hurlé de toutes mes forces :
    — Pauvre imbécile !
    J’ai voulu rentrer. Ai voulu m’asseoir dans l’ombre pour
    l’attendre. Me suis finalement retrouvé à avancer en direction
    164

    des bruits dans la nuit. Ils venaient de la gare Stawki, le dépôt
    de chemin de fer situé juste de l’autre côté du mur.
    J’avais depuis longtemps découvert que le trou large comme
    deux briques que j’utilisais n’était pas le seul de l’enceinte. Près
    de la rue Stawki, il y en avait un autre. Je m’y suis faufilé et me
    suis retrouvé, une deuxième fois cette nuit-là, hors du ghetto.
    J’ai constaté qu’il n’y avait pas un train, mais des tas. Une
    épaisse lumière jaune descendait de lampes accrochées à une
    forêt de perches. Les locomotives ahanaient, sifflaient,
    crachaient des bouffées de vapeur entre leurs roues. Des files
    infinies de wagons à bestiaux s’enfonçaient dans les ténèbres.
    Des Bottes Noires et des Chiens Noirs surgissaient par
    intermittence de l’obscurité.
    Youri n’avait pas menti.
    J’ai déniché Janina perchée sur une cheminée effondrée.
    Malgré moi, j’ai grimpé m’installer à côté d’elle.
    Nous avons regardé un train qui s’alignait le long des
    autres.
    — Où vont-ils aller ? a demandé Janina, fascinée par le
    spectacle. Où vont-ils nous emmener ?
    — Mieux vaut ne pas savoir.
    — Tu sais, toi ?
    — Oui, ai-je menti. Mais je te le dirai pas.
    Ça t’apprendra, idiote !
    Nous avons continué à regarder.
    — Je sais où ils vont aller, a-t-elle fini par lâcher.
    — Où ?
    — À la montagne sucrée, a-t-elle annoncé en hochant la tête
    comme son père lorsqu’il s’apprêtait à faire une déclaration
    importante.

    Le lendemain, nous n’avons pas parlé des trains.
    Ça n’a pas été la peine. Tout le monde dans le ghetto était au
    courant. Les mots flottaient dans l’air, bourdonnaient avec les
    mouches.
    — Trains…
    — Déportations…
    165

    — Gare Stawki…
    — Pourquoi…
    — Où…
    Oncle Shepsel était de plus en plus agité. Il brandissait son
    livre sous le nez des nouveaux locataires. Il haranguait les gens
    installés dans l’escalier. Il se mettait à la fenêtre pour discourir :
    — Repentez-vous, juifs ! Il n’est pas trop tard ! Rejoignez-
    moi ! Sauvez vos âmes !
    Dans les ruines de la boucherie, Enos n’en pouvait plus de
    rire.
    — Ils le font ! Ils le font vraiment ! hurlait-il, debout sur un
    tas de briques, les bras écartés.
    Le joueur de flûte arpentait les rues.
    Des bribes de chanson s’échappaient des fenêtres ouvertes
    de l’orphelinat.
    Tous les yeux et toutes les oreilles étaient tournés vers la
    gare Stawki. Même les cadavres du matin semblaient
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