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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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écouter.
    Deux nuits après que nous avions vu les premiers trains, à
    l’heure où nous revenions des poubelles du Paradis, nous avons
    perçu un tumulte. Tirs de fusil. Sifflets. Hurlements.
    Aboiements. Nous avons prudemment passé nos têtes à travers
    notre trou pour regarder. Collés l’un à l’autre, un œil chacun.
    Des gens, très nombreux, avançaient au milieu de la rue. Tous
    portaient une valise. D’abord, j’ai cru à un défilé. Puis j’ai
    remarqué les Bottes Noires qui les poussaient dans le dos avec
    leurs armes, et les chiens qui grondaient et claquaient des dents.
    La foule progressait lentement. Les pieds paraissaient glisser
    sur la chaussée plutôt que marcher. Ils n’avaient pas l’air de se
    rendre à la montagne sucrée. J’ai cru que ça n’en finirait jamais.
    Le jour suivant, les rues étaient vides.
    Dans l’escalier, dans la cour, des voix assuraient :
    — Il y a des quotas. Les trains doivent prendre cinq mille
    juifs par jour.
    D’autres voix :
    — Dix mille.
    D’autres encore :
    — Jusqu’à ce que…
    Puis quelqu’un a lancé :
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    — Repeuplement.
    Qu’est-ce que ça signifiait ? Repeuplement ? Quel
    repeuplement ?
    — Ils en ont assez de nous voir ici, a expliqué la personne.
    Ils ne nous supportent plus. Ils nous chassent. Ils nous envoient
    vers l’est. Repeupler. Nous aurons nos propres villages. Que des
    juifs !
    — Repeuplement a remplacé « déportation ».
    — C’est quand même mieux de ne pas être juif du tout, s’est
    entêté oncle Shepsel.
    Et les Bottes Noires sont venus le jour, ils sont venus la nuit.
    Et les sifflets ont résonné. Pâté de maisons après pâté de
    maisons. Rue après rue.
    Rue Sliska.
    Rue Panska.
    Rue Twarda.
    Jour après jour, nuit après nuit, les défilés se sont rendus en
    traînant des pieds jusqu’à la gare Stawki.
    — Repeuplement… marmottaient les habitants des
    escaliers. Repeuplement…
    — Nous serons libres !
    — Je réparerai des chaussures, comme avant !
    — Nous aurons à manger !
    Les gens se regardaient droit dans les yeux en hochant la
    tête, murmurant leur accord. Cependant, ils ne sortaient plus.
    Les rues restaient désertes. Seul le joueur de flûte y déambulait.
    Parfois, lorsque Janina et moi nous faufilions à travers les
    corps endormis dans l’escalier, la nuit, une voix disait :
    — Ne partez pas. Vous allez manquer le repeuplement.
    Rue Ceglana.
    Rue Chlodna.

    Un jour, M. Milgrom m’a parlé.
    — Ne perds pas de vue Janina, m’a-t-il demandé. Où que tu
    ailles. À chaque seconde. Jour et nuit.
    Il avait posé sa main sur mon épaule.
    Ça m’a surpris. Non qu’il soit au courant des escapades
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    nocturnes de sa fille. Qu’il les autorise.

    Il y avait cependant une chose que M. Milgrom ne savait
    pas : à quel point sa fille aimait les trains. Toutes les nuits,
    lorsque nous regagnions le ghetto, elle se précipitait dans la
    cour. Elle déposait ses trouvailles sous un porche d’immeuble,
    où elle les reprendrait plus tard, et filait se glisser dehors par le
    trou situé près de la gare Stawki. Pour obéir aux ordres de M.
    Milgrom, je n’avais pas d’autre choix que la suivre.
    Nous le faisions toutes les nuits. Nous nous tenions en haut
    de la cheminée écroulée et contemplions le manège des trains.
    Les files de gens qui grimpaient dans les wagons à bestiaux. Les
    grincements de roues. Les locomotives qui toussaient comme
    des juifs à l’agonie.

    La journée, je me rendais à la boucherie en ruines. Mais les
    gars disparaissaient un à un.
    — Où est Ferdi ? demandais-je. Où est Kouba ?
    Pas de réponse. Avaient-ils suivi le conseil de Youri ?
    S’étaient-ils enfuis ? Étaient-ils de l’autre côté du mur, en train
    de courir ? Pendaient-ils à des réverbères avec une pancarte
    autour du cou ? Rampaient-ils dans les égouts ? Buffo les avait-
    il attrapés ? Ferdi.
    Kouba.
    Enos.
    L’un après l’autre.
    Jusqu’à ce qu’il ne reste que Gros Henryk, collé aux basques
    du joueur de flûte. Un jour, j’ai vu des Bottes Noires les
    désigner.
    Plus personne ne venait prendre de photos.
    Le jour. La nuit. Des défilés interminables.

    Une fois que je somnolais dans la ruelle au lait d’âne, Janina
    a surgi, criant :
    — Misha ! Misha !
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    M’attrapant par la main, elle m’a entraîné dans la rue. Les
    orphelins passaient. En rangs. Tête haute, ils chantaient la
    chanson que j’avais apprise. J’ai chanté avec
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