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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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longtemps. La neige s’est entassée sur ma casquette et
    mon col. L’odeur des oignons au vinaigre me chatouillait les
    narines. Mon haleine réchauffait l’œuf.
    Le ciel virait du noir au gris lorsque j’ai enfin regagné mon
    passage. J’ai déposé l’œuf de l’autre côté avant de le rejoindre en
    me tortillant. Je n’avais pas eu de problème à m’y faufiler, ces
    derniers temps. Sûrement, les raclées de Gros Henryk étaient
    efficaces.
    Dès que j’ai mis le pied dans le ghetto, j’ai compris pourquoi
    les Bottes Noires m’avaient coursé. J’avais oublié de retirer mon
    brassard. J’avais proclamé à la face de tout Varsovie :
    « Regardez ! Je suis juif ! Je me suis échappé du ghetto ! »
    C’était un miracle qu’ils ne m’aient pas repéré plus tôt.
    L’obscurité, mon alliée, s’estompait. Il fallait que je me
    dépêche. J’ai pris mes jambes à mon cou. Tournant le coin
    d’une rue à toute vitesse, j’ai trébuché sur un corps à demi
    dissimulé par la neige et me suis étalé sur le trottoir. L’œuf m’a
    échappé des mains. D’abord, je me suis réjoui, car la neige avait
    amorti la chute. Puis, à la faible lueur de l’aube, j’ai constaté que
    la coquille s’était fêlée. Ça m’a fendu le cœur. Je n’avais affronté
    tous ces dangers que pour arriver à ça !
    Puis j’ai remarqué qu’elle n’était que fendillée. Pas cassée.
    Le jaune ne gouttait pas dans la neige. Ça m’a ébahi. Un œuf qui
    se fêlait sans se briser, c’était un deuxième miracle !
    155

    J’ai couru jusqu’à la maison en prenant garde d’éviter les
    cadavres. M. Milgrom était déjà éveillé lorsque je suis rentré.
    Janina dormait. Je lui ai montré l’œuf et les oignons marinés.
    — Pour Janina, ai-je chuchoté. Joyeux.
    Il a contemplé mes prises. M’a contemplé encore plus
    longuement.
    — Regarde l’œuf, ai-je continué. Il ne s’est pas cassé. C’est
    un miracle.
    Il a examiné l’œuf. L’a porté à son oreille et l’a secoué. A
    hoché la tête.
    — Non, a-t-il murmuré. C’est toi, le miracle. L’œuf est dur.
    Il ne peut pas se casser.
    Un œuf dur. C’était nouveau, pour moi. J’espérais que
    Janina l’aimerait quand même.
    Ce soir-là, je le lui ai offert. Ses yeux se sont arrondis
    comme des œufs d’oiseau. Elle a épluché l’œuf et l’a fourré tout
    entier dans sa bouche. Fermant les yeux, elle l’a mangé en
    émettant de petits sons.
    — Attends ! lui ai-je dit. J’ai des oignons en saumure.
    Comme ça, ça fait un œuf mariné, ai-je ajouté en les lui tendant.
    Elle les a écartés d’un revers de la main.
    — Les œufs marinés sont violets, a-t-elle marmonné entre
    deux bouchées.
    Les jumeaux la fixaient des yeux. Leurs mâchoires
    s’agitaient au même rythme que les siennes.
    Son œuf terminé, elle a enlacé son père en le remerciant.
    — Remercie Misha, a-t-il murmuré. C’était son idée. Il l’a
    trouvé de l’autre côté du mur.
    Elle m’a serré contre elle. J’ai été surpris de la force qu’elle y
    mettait.
    Oncle Shepsel est arrivé. Il ne venait plus à la chambre que
    pour manger et dormir, désormais. Il était persuadé que, moins
    il passait de temps en compagnie des juifs, plus il devenait
    protestant. Mais même les protestants ont faim et, lorsqu’il est
    entré dans la pièce, il a reniflé et s’est exclamé :
    — Des oignons marinés !
    À ma grande surprise, M. Milgrom en a pris un dans sa
    poche et le lui a donné.
    156

    Quant à moi, j’étais resté debout trop longtemps. Je me suis
    allongé. En m’assoupissant, j’ai senti un peigne passer dans mes
    cheveux… encore… et encore…

    157

35

PRINTEMPS

    — Qu’est-ce que c’est que ce raffut ? s’est écriée Janina.
    Elle est allée à la fenêtre, les jumeaux sur ses talons.
    Nous étions dans la pièce. C’était en pleine journée. Dehors,
    des voix s’élevaient. J’ai rejoint les autres.
    En bas, dans la cour, des enfants chantaient. On aurait plus
    dit des corbeaux que des enfants. Lorsqu’ils ont senti que nous
    les regardions, ils ont dressé leurs visages vers nous –
    lambeaux et yeux.
    — Pourquoi ils chantent ? ai-je demandé.
    — Ils ont faim, a dit M. Milgrom par-dessus mon épaule. Ils
    chantent pour qu’on leur donne à manger.
    — Nous n’avons rien à leur donner, ai-je remarqué.
    C’était vrai. Quand Janina et moi revenions du Paradis,
    chaque nuit – elle avait
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