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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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trains.
    Ça m’a paru chouette.
    — Pour aller où ? En Russie ? À Washington Amérique ?
    Il a emprisonné ma nuque entre ses doigts. A serré.
    — J’en sais rien. Et mieux vaut ne pas savoir. Quoi que tu
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    fasses, ne monte pas dans un train. Arrange-toi pour ne pas être
    là quand ils arriveront. File ! Tire-toi. Cours. Continue de courir.
    Toujours.
    Il a contemplé le ciel. Moi aussi. Il n’y avait rien, là-haut.
    — Je ne t’ai jamais demandé, a-t-il repris en me
    dévisageant. Comment passes-tu de l’autre côté ?
    Je lui ai raconté le trou large comme deux briques. Il a
    secoué la tête. A presque souri.
    — Espèce de petit con. Je savais bien que tu finirais par
    valoir quelque chose.
    — Tu te rappelles quand je t’ai vu à l’hôtel du chameau
    bleu ? me suis-je écrié, ravi.
    Avec ses phalanges, il a assené un bon coup de poing sur
    mon front.
    — Tu ne m’as vu nulle part, pigé ? m’a-t-il disputé. Tu ne
    m’as jamais vu. Tu ne me connais pas. (Nouveau coup.)
    Entendu ?
    J’ai acquiescé, bien que je ne comprenne pas.
    — Il faut que j’y aille, a-t-il annoncé. Tiens.
    Il m’a offert le reste de son cornichon. A reculé d’un pas.
    M’a examiné de la tête aux pieds. A soupiré. A paru triste.
    — Plus noiraud que jamais, a-t-il marmonné.
    Crachant sur un de ses doigts, il a frotté ma joue.
    — Avant de partir, m’a-t-il recommandé, trouve de l’eau et
    lave-toi le visage.
    Se baissant, il a ramassé une poignée de poussière blanche
    dans un tas de briques.
    — Tu vois ça ? Mets-en sur ta figure. Tes pattes.
    Il a plongé mes mains dans la poussière. Elles sont
    devenues plus pâles que les siennes.
    — Compris ? Avant de partir, enlève aussi ça.
    Il montrait mon brassard. Agrippant mes cheveux, il m’a
    secoué jusqu’à ce que j’aie le vertige.
    — Ne regarde personne, a-t-il chuchoté. Ne t’arrête pas. Tu
    n’es pas juif. Tu n’es pas tsigane. Tu es personne.
    Il m’a giflé.
    — Dis-le.
    — Je suis personne, ai-je docilement répété.
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    Il m’a lâché. A reculé. Ses cheveux roux étaient coupés si ras
    qu’ils étaient juste un soupçon de rouille sous sa casquette.
    Tournant les talons, il s’est éloigné. S’est ravisé. Est revenu vers
    moi. M’a serré la nuque.
    — N’en parle à personne, sauf aux garçons, m’a-t-il ordonné
    en regardant autour de lui. Comment vont-ils ? Bien ?
    — Pas Olek. Olek est pendu. Avec une pancarte.
    Youri m’a contemplé.
    — Ils volent à manger, ai-je expliqué. Comme moi. Mais pas
    à travers le trou. Ils sont trop gros.
    Youri a inspecté le ciel une nouvelle fois. A fermé les yeux.
    Est revenu sur moi. A mis la main dans sa poche. M’a tendu
    quelque chose.
    — Tiens !
    Puis il s’en est allé. Pour de bon.
    Un bonbon. L’enrobage en chocolat fondait. Je l’ai mangé.
    C’était une ganache fourrée d’une noisette.
    Je suis aussitôt allé trouver les garçons dans la boucherie en
    ruines. Je leur ai raconté ce que Youri m’avait appris.
    — Il dit qu’on doit partir.
    — Où ? s’est esclaffé Kouba. Où donc, hein ?
    — Loin du ghetto. Loin de partout. Courir. Courir toujours !
    Kouba et Ferdi ont ri. Pas Enos.
    — Pourquoi ? a-t-il demandé.
    — Les déportations.
    Les gars ont échangé des regards.
    — C’est quoi, ça ? a lancé Ferdi.
    — Je sais pas, a répondu Enos.
    Mais j’ai bien vu que ce n’était pas vrai.
    — Courir ! a beuglé Gros Henryk.

    J’ai gardé le cornichon pour ma famille.
    — On doit s’en aller, leur ai-je annoncé pendant qu’ils
    mâchonnaient.
    J’avais chuchoté pour que les nouveaux locataires ne nous
    entendent pas.
    — Qu’est-ce que tu racontes ? s’est exclamé oncle Shepsel.
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    — Youri dit que les trains vont arriver pour nous emporter.
    Il dit que nous devons courir.
    — Qui est Youri ? a demandé M. Milgrom.
    — Youri est mon ami.
    — Ton ami est fou, a rétorqué oncle Shepsel. Pourquoi vous
    emmèneraient-ils ailleurs ? Vous êtes déjà parqués comme des
    cochons dans une porcherie. Que peuvent-ils vous infliger de
    plus ? Et si je dis vous (il a désigné chacun d’entre nous), c’est
    parce que je ne suis plus l’un de vous.
    Il a léché la saumure qui coulait sur son menton.
    — Je suis protestant, a-t-il repris. Tout le monde sait ça. Je
    n’ai rien à craindre. Je ne m’inquiète que pour vous (il a brandi
    son livre au visage de M. Milgrom), avec vos Hanoukka et
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