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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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n’en avais jamais vu. Un homme
    doté d’ailes s’élançait à partir d’un gros bloc de pierre. Il
    regardait le ciel, l’air d’être prêt à s’envoler à tout moment. Je
    n’arrivais pas à en détacher mes yeux.
    — Hé, le tsigane ! a lancé une voix. Cherche-nous un peu !
    Mais je suis resté planté là, à contempler le grand homme
    de pierre avec des ailes. Bientôt, les autres m’ont rejoint.
    — Qui c’est ? ai-je demandé.
    — Un ange, a répondu Ferdi.
    — C’est quoi, un ange ?
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    — Les anges, ça n’existe pas, a décrété Enos le lugubre.
    Je me suis tourné vers lui. Je lui ai montré l’homme ailé.
    — Et ça alors, qu’est-ce que c’est, hein ? ai-je répliqué.
    — Rien que de la pierre, a-t-il insisté. Il n’est pas vrai. C’est
    un truc auquel les Bottes Noires croient.
    — J’y crois aussi, a déclaré Olek en grattant le moignon de
    son bras. Les anges, ça existe. Seulement, on ne les voit pas.
    — Pourquoi ? ai-je demandé. Ils se cachent ?
    — Ils sont invisibles.
    J’ai regardé autour de moi. J’ai été obligé d’en convenir :
    s’ils existaient, les anges étaient parfaitement invisibles. Du
    coup, avoir une statue de l’un d’eux est devenu particulièrement
    chouette. Celui-là au moins, je le voyais.
    — Qu’est-ce qu’ils font ? ai-je voulu savoir.
    — Ils ne chient pas comme les chevaux, a répondu Enos.
    — Ils aident les gens, a expliqué Olek. Quand t’es dans les
    ennuis, ils t’aident à en sortir.
    Enos a reniflé, dégoûté. Il a écrasé sa cigarette au pied de
    l’ange de pierre.
    — Où étaient-ils quand on t’a poussé sur les rails et que le
    train a roulé sur ton bras ? a-t-il lancé en attrapant la manche
    vide d’Olek et en la lui jetant à la figure. Où se trouvaient tes
    anges, hein ? Pourquoi ne t’ont-ils pas sorti des rails ? Pourquoi
    n’ont-ils pas arrêté le train ?
    Il a désigné un garçon nommé Gros Henryk. Pour seules
    chaussures, il avait des sacs servant à enrouler les pièces, à la
    banque.
    — Regarde-le ! a-t-il poursuivi. Pourquoi les anges ne lui
    donnent-ils pas de godasses ? Ou l’intelligence d’en vouloir ? Et
    celui-là (il enfonçait son doigt dans les flancs de Jon, qui était
    maigre et gris et ne parlait jamais), non mais vise un peu ! Il est
    en train de mourir, et il ne le sait même pas ! (Enos s’était mis à
    hurler, maintenant.) Qu’est-ce que tes fichus anges font pour
    lui, hein ?
    Il a craché sur l’ange de pierre.
    Un énorme silence a suivi… jusqu’à ce qu’un cri – « des
    juifs ! » – résonne au-dessus des tombes.
    Nous nous sommes retournés. Un chariot noir descendait
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    l’allée. Le cheval avançait pesamment, la crinière recouverte
    d’un châle noir. Une file de gens, en noir et titubant comme le
    cheval, marchaient derrière le chariot. Ce dernier était petit,
    rien qu’une carriole juste assez grande pour contenir le cercueil.
    Un homme a brandi le poing.
    — Des juifs ! Des voyous juifs qui salissent le cimetière !
    Plusieurs hommes ont quitté le cortège et se sont dirigés
    vers nous en criant. Nous avons jeté nos cigarettes et nous
    sommes sauvés. Ma laisse flottait au vent derrière moi, frappant
    les monuments funéraires. Tout à coup, Kouba s’est arrêté. A
    tourné le dos aux hommes. A baissé son pantalon. S’est penché
    et leur en a mis plein les yeux. Nos poursuivants ont poussé des
    braillements encore plus forts, mais pas aussi forts que nos
    rires.

    Dans l’écurie, cette nuit-là, plongé dans l’obscurité qui
    sentait la paille, j’ai dit à Youri :
    — Est-ce qu’Enos a raison ? Les anges n’existent pas ?
    Pas de réponse.
    — Tu dors ?
    — J’essaye. Toi et tes questions idiotes ! Qu’est-ce que tu
    veux que j’en sache ? Enos a raison si tu en as envie. Tu as envie
    qu’il ait raison ?
    — Non. Je veux qu’il ait tort.
    — Parfait. Alors, il se trompe.
    — Je veux croire aux anges. Il me semble.
    — Parfait. Crois-y.
    — Enos prétend que les anges sont pour les Bottes Noires.
    — T’es vraiment un âne. Un âne noir, même. Un âne bâté.
    Et un âne bêta par-dessus le marché.
    — Tu ne me traites plus d’imbécile. Maintenant, je suis un
    bêta.
    — À ta guise.
    — Si je suis pas un Bottes Noires, comment je vais croire
    aux anges ?
    — Quand on est rien, on est libre de croire à tout. Dors,
    Misha.
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    J’ai eu beau essayer, une question me tourmentait.
    —
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