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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif
Autoren: Jerry Spinelli
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entraîné vers la trappe de la cave
    qui ouvrait sur l’arrière de l’immeuble.
    — Cours ! m’a-t-il lancé une fois dehors.
    Je n’ai pas bougé.
    — Mes bonbons !
    Il m’a donné une claque. Nous avons filé. Derrière nous, des
    hurlements. Des coups de feu. La pierre jaune rebondissait sur
    ma gorge.
    Nous avons couru longtemps. Nous sommes arrêtés pour
    enfiler nos chaussures. Nous sommes remis à courir. Sommes
    arrivés devant les murs en ruines d’un immeuble bombardé.
    Nous sommes frayé un chemin à travers les gravats. Du verre
    scintillait au clair de lune. Le gel luisait sur les tas de briques et
    les poutres effondrées. Youri m’a pris la main. Nous nous
    sommes enfoncés dans les débris.
    Youri a fini par trouver un endroit.
    — C’est bon, a-t-il dit. Dors.
    J’ai dormi. J’ai rêvé que je me tenais sous un jet d’eau. Une
    cascade, peut-être, ou un robinet, qui éclaboussait mon visage,
    mes yeux. J’avais du mal à respirer. Je me suis réveillé. Au-
    dessus de moi, sur le bord du cratère de briques, un garçon était
    debout, ses livres d’école en bandoulière autour de son épaule,
    un garçon nimbé par le ciel bleu, un garçon hilare qui urinait
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    sur ma figure.
    — Fous le camp ! a hurlé Youri en lui lançant une brique.
    Le garçon s’est carapaté.
    À partir de là, nous avons erré de place en place. Nous
    dormions dans des tas de lieux différents. Tous étaient glacés.
    Parfois, je me réveillais, de la neige dans l’oreille. Nous n’avons
    plus jamais dormi dans des lits, ni utilisé de chaises, ni stocké
    nos denrées dans une glacière. Nous arpentions les rues. Youri
    restait aux aguets. Il arrivait qu’il me catapulte brusquement
    sous un porche ou dans une ruelle entre deux maisons. Nous ne
    fréquentions plus les boutiques marquées d’une étoile jaune.
    Chaque fois que j’entendais un cheval, je regardais pour voir
    s’il s’agissait de Greta.
    Youri devait aller de plus en plus loin pour trouver des
    cornichons. Il continuait à dégoter des conserves de viande et de
    légumes, des bocaux de fruits et de cacahuètes. Il en prenait
    toujours deux. Les sucreries, il ne les volait que pour moi.
    Quand je tombais sur une ganache à la noisette, j’étais si
    heureux que j’avais du mal à la manger.
    Auparavant, où que j’aille, les sacs de papier brun
    renfermant du pain avaient été légion. Ils se faisaient de plus en
    plus rares.
    Un jour, alors que je venais de barboter une miche à une
    dame, celle-ci s’est mise à crier :
    — Arrête-toi ! Espèce de sale juif !
    J’ai stoppé net. Me suis retourné. L’ai toisée. De ma voix la
    plus sévère, j’ai braillé :
    — Je suis même pas un sale juif, d’abord ! Je suis un
    tsigane ! Je m’appelle Misha Pilsudski !
    Levant les bras au ciel, elle a pris à témoin les autres
    passants.
    — Un sale tsigane ! Arrêtez-le !
    Elle s’est ruée vers moi. Le museau brun de son étole de
    renard sautillait sur son épaule.
    Jamais encore je n’avais été en colère après une dame-à-
    pain. Renversant le sac, j’ai jeté la miche par terre. Ai sauté
    dessus à pieds joints. Ai shooté dedans, l’envoyant valser sur la
    chaussée. Je me suis moqué de la dame qui courait.
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    — Espèce de sale dame-à-pain ! criais-je.
    Puis j’ai fichu le camp.
    Dès le lendemain, j’ai dérobé cinq miches. À chaque fois, j’ai
    hurlé mon nom à celui à qui je la volais :
    — Misha Pilsudski !
    — Misha Pilsudski !
    — Misha Pilsudski !
    — Misha Pilsudski !
    — Misha Pilsudski !
    — Espèce de dingue ! m’a grondé Youri quand je suis rentré.
    C’est trop. C’est du gâchis. Je vais donner celles-ci aux
    orphelins, a-t-il ajouté en prenant quatre des miches.
    — C’est quoi, des orphelins ?
    — Des enfants sans parents.
    — Comme toi ?
    — Comme moi, comme Kouba, comme nous tous.
    — Sauf moi. Moi, j’ai une mère et un père, sept frères et cinq
    sœurs.
    — J’avais oublié. Sauf toi.
    Nous avons porté le pain aux orphelins. Ils vivaient dans
    une grande maison carrée de pierre grise. Youri a sonné. La
    porte s’est ouverte.
    — Docteur Korczak5, a dit Youri, voici du pain pour les
    orphelins.
    L’homme nous a dévisagés. Il était chauve. Les poils qui
    avaient déserté le sommet de son crâne semblaient être tombés
    en bas de son visage, car il avait une épaisse moustache blanche
    et un bouc pareil à un balai. Il a souri, a hoché la
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