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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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Jourdain rendirent compte de leur visite au camp des croisés. Quand ils eurent parlé, ils se tinrent silencieux à examiner craintivement leurs compagnons, espérant d’eux peut-être des questions passionnées, des peurs manifestées, un désir avoué, fut-ce du bout des lèvres, d’éviter le bûcher. Mais Bernard ne parut point se soucier de leur attente. Il demeura songeur, le regard envolé dans l’ombre du plafond, tandis que les garçons contemplaient devant eux éperdument la mort en triturant leurs mains entre leurs jambes jointes. Alors Jourdain leur dit :
    — Avez-vous entendu ? Vous périrez brûlés si vous ne fuyez pas.
    Bernard prit ses jeunes disciples aux épaules et murmura au loin :
    — Enfants, il faudra vous tenir bien droits, sans rien dans votre esprit qu’une lueur d’étoile. Vous devrez ne voir qu’elle et ne penser qu’à elle, jusqu’à la dernière douleur. Nous parlerons demain de cette lumière. Vous devrez ces jours prochains la faire éclore dans vos âmes. Croyez-m’en, il n’en est pas de plus désirable.
    — Cessez vos simagrées, gronda Pierre, et ne me gâchez pas le plaisir de berner ce mondain balafré qui nous veut à genoux. Partez cette nuit même. Jourdain vous conduira où vous voudrez aller. Nous avons des amis partout dans ce pays. Je suis sûr qu’à cette heure ils vous croient sur la route et préparent vos chambres.
    Il n’eut pas de réponse, ni de Jourdain, ni de Bernard, ni de ses deux parfaits maintenant enfoncés dans un incessant chapelet de patenôtres. Il se dressa, fit une moue rogneuse, chercha encore à dire, s’en fut et s’en revint, rugit, exaspéré :
    — Pourquoi non, sacredieu ?
    Les autres n’eurent à sa figure que des regards agacés et se remirent à leurs prières obstinément dévidées. Alors il ouvrit grand les bras comme pour les étreindre ou les broyer ensemble et d’un coup s’en alla, bottant les tabourets qui encombraient ses pas.
     
    Jourdain sortit bientôt sur le pas de la porte. Il bruinait et ventait. Bernard l’y rejoignit, et lui prenant la main il lui demanda de l’accompagner jusqu’au grenier de l’écurie où il s’était aménagé une chambre sommaire. Tandis qu’ils cheminaient au milieu de la cour, derrière eux dans les hauteurs noires retentit tout à coup une telle bordée d’insultes et de blasphèmes qu’ils courbèrent le dos comme sous une foudre. Ils se retournèrent, le front levé, la bouche ouverte à l’air mouillé, cherchant à distinguer ce diable qui criait. Ils ne purent, il était trop loin dans l’obscurité du ciel, mais ils reconnurent sa voix tonnante que le vent sans cesse éloignait et ramenait à eux. Pierre, sur la terrasse de la tour de veille, hurlait à Dieu sa peine, s’enrageait à L’appeler sur lui, s’égosillait à demander pourquoi Il ne répondait pas, et Le défiait, obscène et brave, et menaçait de L’étripailler comme un diacre vulgaire s’il ne rabaissait pas l’orgueil extravagant de ces fous qui voulaient mourir pour Sa gloire.
    — Quel beau vivant, murmura Bernard, Seigneur, quel beau vivant ! C’est le meilleur de nous.
    Il rit, émerveillé, renifla la pluie fine et reprit son chemin parmi les gens sortis de l’abri des auvents, qui se frottaient les yeux et se désignaient l’invisible, la main errante dans la nuit.
    Jusqu’à son grenier Jourdain le suivit. Une lampe brûlait, humble, presque secrète, au milieu du plancher proprement balayé. Quatre gros cailloux étaient étroitement disposés autour de sa flamme. Près d’elle, sur une couverture, des pans de hardes débordaient d’un vieux sac de cuir. Jusqu’aux ombres des recoins rien d’autre n’était visible : ni foin, ni paille, ni reliefs. Bernard invita son hôte à prendre place devant ce brin de feu qui semblait s’élever d’une gangue fendue. Il s’assit face à lui. Dans la paix odorante où ne parvenait aucun des bruits du monde, sauf les coups sourds des chevaux, en bas, parmi les herbes de l’écurie, ils goûtèrent un moment sans paroles cette affection inexprimable et complice qu’ils avaient toujours ressenti l’un pour l’autre, puis Jourdain baissa les yeux, hésita, dit enfin :
    — Bernard, je veux comprendre.
    — Je sais, mon fils, je sais.
    À nouveau ils se turent. Bernard enfin soupira, et ses mains s’animant, indécises et lentes, il dit encore :
    — Tout au long de ma vie j’ai cherché, j’ai cherché.
    Et il
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