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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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qu’aucun bien n’advienne, et la joie des perdus, dans leur château où les brumes du ciel effaçaient toute terre, se dispersa bientôt avec les cendres de ce deuxième feu. Jour après jour, nombre d’assaillants avaient pris pied sur la crête du mont où ils avaient hissé des pieux de palissades et un pierrier semblable à un arc de colosse d’où jaillissaient des tirs incessants de boulets et de quartiers de rocs. La muraille battue peu à peu se creusait et s’infectait comme une mauvaise plaie, sans que personne y puisse rien. Depuis la visite d’Escot, aucun voyageur ne s’était risqué sur la montagne. Quand vint le nouvel an, les gens de Montségur n’espéraient plus de signes que du vol hasardeux des oiseaux dans le ciel, tandis que les coups sourds, sans hâte ni repos, ébranlaient le rempart, pareils à la cognée d’un monstre indiscernable acharné à leur poursuite depuis le fond des temps et que désormais, sur cette cime du monde où ils étaient parvenus, ils ne pouvaient plus fuir.
     
    Après que se fut envolée cette deuxième flambée sur le pic maintenant coiffé de neige seul Pierre s’obstina, sans rien dire à personne, à croire encore à quelque miracle. Il ne fut pas de jour qu’il ne passât debout sur le chemin de ronde dans les rages du vent, les pluies, les soleils froids, à flairer les lointains que l’hiver désolait, à chercher farouchement le moindre commencement de retraite parmi les tentes rondes et les fumées au fond de la vallée, veillant comme l’on prie, espérant un secours, tête et cœur acharnés contre toute raison. Jusqu’à la Saint-Alexis de février il resta dans cette attente extrême, puis soudain, ce jour-là, son âme lâcha prise. Comme il découvrait les vastes dehors imperturbablement indifférents à ses supplications silencieuses, il se détourna, s’enveloppa dans sa pelisse de loup, laissa aller son échine contre le créneau, s’assit tout pauvrement sur la pierre mouillée et regarda, en bas, la cour de son château.
    Les gens entassés là erraient, maigres et mornes, sans plus guère savoir que faire. Ils semblaient en prison entre les hauts murs gris. Aucun ne levait plus le front vers les nuées. Aucun ne travaillait. Tous tenaient les mains enfouies dans les plis des manteaux ou fermées sur les poitrines, comme s’ils serraient là un animal secret. Seule Jeanne s’occupait à étendre du linge à l’entrée de la forge où gisaient des outils abandonnés. Jourdain et Bernard conversaient sur le perron du donjon, guère distraits par les pépiements aigus de Mersende et de Béatrice qui houspillaient, à quelques pas d’eux, un chien égaré entre leurs sandales terreuses. Personne ne semblait plus se soucier du bruit sourd des boulets contre le mur de l’est ni des gravats qui maintenant pleuvaient à chaque coup frappé sur le toit de rondins qui couvrait l’écurie. Pierre appela Jourdain d’un cri de cœur muet. L’autre resta la tête basse. Bernard auprès de lui allait son chemin de mots, et il l’écoutait, les yeux fixes, avec cette passion taciturne qu’il mettait toujours à contempler les gens qui lui parlaient. Il ne se décida à hausser les sourcils qu’à l’instant où son frère d’armes, descendu dans la cour en hâte furibonde, lui fit enfin de l’ombre.
    — Va seller ton cheval, dit Pierre. Nous allons visiter monseigneur des Arcis.
     
    Vers l’heure de midi ils s’en furent tous deux sur la pente pierreuse. Au-delà des dernières palissades, comme les fumées et les relents du campement envahissaient le vent qui battait leur visage, des soldats apparurent au-dessus des buissons, s’étonnèrent à distance prudente, puis, voyant ces cavaliers que personne n’accompagnait poursuivre leur chemin sans se soucier d’eux, ils s’aventurèrent à leurs côtés et leur firent escorte, marchant fièrement auprès de leurs chevaux comme s’ils avaient fait une capture insigne, tandis que d’autres allaient porter partout la nouvelle que Pierre de Mirepoix et Jourdain du Villar s’en venaient sans armes sur le sentier. Ils furent bientôt environnés de bousculades, de courses désordonnées et de lances brandies parmi les croix que portaient les moines. Dans ce pressant vacarme ils traversèrent le torrent dénudé, prirent pied sur la rive hérissée de moignons d’arbres. Alors leur apparut, courant à leur rencontre, un bonnet de mouton enfoncé jusqu’aux yeux, le seigneur
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