Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
coudes dans le courant et s’aspergea la face. Après quoi il s’ébroua et regarda les lavandières immobiles. Il leur sourit, l’air fat. Il leur dit :
    — J’ai quitté le chemin pour prendre un raccourci et je me suis empêtré dans des passes de sangliers.
    Il redressa sa longue taille, désigna du bout de sa dague les murailles de Montségur dans le bleu de la cime, hocha la tête.
    — Diable, dit-il, c’est encore haut.
    — Qui t’envoie ? demanda Mersende.
    L’autre rit d’un coup sec et ne répondit pas. Il rengaina son couteau, remit à l’épaule ses armes d’archer, puis sans se soucier autrement des femmes et des linges qu’elles agitaient au fil de l’eau il traversa le torrent, tirant son cheval par la bride, et se renfonça parmi les arbres.
    Dès lors, Jeanne et Béatrice ne furent plus qu’à l’impatience de grimper au château où du neuf allait tout à l’heure raviver les bavardages. Elles se hâtèrent à l’ouvrage, s’excitant à s’interroger sur la mission de cet homme qui semblait venir de loin, peut-être de Toulouse pensèrent-elles ensemble. Elles se reprochèrent l’une l’autre en riant de n’avoir pas osé lui demander d’où il était. Tandis qu’elles mêlaient leurs protestations joyeuses, Mersende risqua quelques funèbres prédictions qui ne furent pas entendues. Les messagers étaient rares à Montségur. Seuls de loin en loin des pèlerins amis et des marchands de vivres portaient aux gens du lieu des nouvelles du monde dont nul ne savait que faire, tant elles pesaient lourd.
     
    Les temps étaient méchants et l’espérance grise comme le blé chétif des montagnes d’Ariège dans ses champs caillouteux. Le soir même de son arrivée, Jeanne s’était jointe à des hommes et femmes réunis sous l’auvent de la cour autour du vieux Bernard Marti qui parlait des deuils du pays. À l’instant où elle avait pris place, discrètement approchée au milieu de ces gens tant captivés qu’ils ne s’étaient point aperçus de sa présence, Bernard avait posé sur elle ses yeux de saint innocent, et dans la lueur du lumignon famélique qui baignait l’assemblée il n’avait voulu voir personne d’autre qu’elle. Il avait dit alors que des plaines toulousaines aux portes de la mer la terre n’était plus qu’un désert grouillant de mauvaises bêtes, mais que c’était peut-être chose voulue de Dieu afin que les vivants de bon aloi ne puissent plus être tentés d’y demeurer et n’aient d’autre choix que de s’ancrer au ciel. Ayant ainsi parlé, le vieillard s’était penché sur la lampe pour nourrir d’huile la flamme qui se mourait, et Jeanne s’était sentie désemparée face à ces deux chemins d’enfer terrestre et de pureté trop aride que la voix forte de Bernard venait d’ouvrir devant elle. L’esprit envahi par une soudaine insurrection de fruits charnus, de parfums de fumées, de diables d’hommes, de fêtes de village, de nourrissons aux joues luisantes, elle avait cherché autour d’elle quelqu’un d’assez vive force et de fier désir pour rassurer son âme simple. Parmi les visages perdus dans la contemplation de la lumière vacillante elle avait rencontré le regard insistant et l’imperceptible sourire de Jourdain du Villar. À cet homme, point à Dieu, elle avait offert à l’instant même son inexprimable attente de bonheur, et s’en retournant seule au bout de la soirée elle s’était promise aux plus naïves chaleurs de la vie, s’il voulait d’elle, ou à la solitude la plus hautaine et retirée qui soit, s’il ne la voulait point aimer.
    — Attendez-moi, méchantes pestes, cria Mersende, hissant sa corbeille sur la tête et troussant ses jupons sur ses genoux de haridelle.
    Béatrice déjà escaladait la sente et regimbait et poussait des cris de pie à chaque coup pointu d’une branche que Jeanne, à grands « hue » de bouvière, enfonçait plaisamment dans sa croupe houleuse. Sur le premier muret de jardin elles s’assirent pour reprendre haleine. L’aïeule les rejoignit bientôt, s’aidant aux buissons bas, geignant et ronchonnant contre les cailloux du chemin, les traîtrises des ronces, les filles sans pitié pour ses douleurs de vieille qui éventaient leur gorge et leurs joues cramoisies dans une ombre de hêtre où crissaient des insectes. Elle fit halte, leva la tête vers la citadelle haut dressée dans le ciel limpide.
    — Maudite maison, dit-elle enfin, le souffle
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher