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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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1
    — Vois comme mes seins sont gonflés, dit Jeanne. Je crois que je porte un enfant.
    Au bord du torrent où elle était à lessiver elle redressa le buste, baissa le front, effleura du bout des doigts, comme merveilles à peine palpables, les rondeurs ensoleillées de sa gorge à demi dénudée. Une abeille un instant folâtra autour de sa caresse puis d’un trait disparut dans le puissant silence du ciel. Jeanne releva la tête, enfouit les mains au creux de son tablier, sourit à Béatrice. La jeune fille abandonna aux scintillements du courant la tunique rouge de Thomas l’Écuyer qu’elle s’appliquait à rincer avec une nonchalante volupté d’amoureuse. Elle regarda son amie, autant joyeuse qu’effarouchée par la nouvelle.
    — Seigneur Dieu, dit-elle.
    De l’autre côté de l’eau un merle s’envola d’un noisetier touffu, dans un froissement bref d’ailes et de feuillage. Un éclat de printemps canaille brilla dans l’œil de Jeanne. Béatrice reprit tout soudain son ouvrage. Près d’elles, la vieille Mersende retroussa ses manches lourdes d’eau, ramena son linge sur la planche, soupira :
    — Aïe ! misère !
    Elle renifla, esquissa un signe de croix, torcha son nez d’un revers de main, empoigna son battoir et se mit à rosser ses hardes à coups si furibonds qu’un arc-en-ciel parut dans des gerbes d’embruns.
    — Son père est un homme de bien, dit Jeanne.
    — Qui est-ce ? demanda Béatrice, d’un élan si vif qu’elle en rougit.
    Jeanne resta craintive au bord du nom, sans oser le dire. Et s’il allait être abîmé, imprudemment aventuré hors de l’abri du cœur ? Et s’il allait être terni par quelque aigreur sournoise, moqué par un mauvais signe de nature : grincement de corbeau, voilement soudain du soleil ? Elle contempla l’horizon éblouissant à la sortie de la vallée, entre les monts revêches, murmura :
    — Tu le sais bien.
    — Il s’en ira, ma fille, dit Mersende, soufflant, grinçant, peinant à torsader ses nippes ruisselantes. Ces maudits-là n’ont de cœur qu’en bas-ventre. Il ne faudrait pas les repaître. Dès qu’ils ont fait l’amour ils nous défont la vie et nous voilà, pauvres trouées, à décrasser leurs chausses. Que faire d’autre ? Puisqu’il faut qu’ils nous quittent, au moins qu’ils partent propres.
    Béatrice haussa les épaules, répondit :
    — Il en est de fidèles.
    Sur un arbre penché apparut un nuage. Il était lourd et seul. Jeanne le regarda monter vers le soleil.
    — Ce qui me fut donné ne peut m’être repris, dit-elle, tout à coup radieuse et tant époustouflée par son souvenir que ses compagnes, sans cesser de s’échiner à leur labeur mouillé, lui jetèrent un coup d’œil étonné par-dessus leur épaule.
    Elle ne s’en soucia point. Elle demeura les mains abandonnées, le regard content entre ciel et verdure.
    Elle dit encore :
    — Voyez comment sont les choses. Nous nous sommes crus deux, nous étions déjà trois. Quelqu’un d’autre était là, caché dans des replis de moi que je ne connais pas. Et tandis que j’aimais et que j’étais aimée cette présence sans corps jouissait en secret de notre jouissance, et s’accordait avec nos vies, et s’habillait de notre chair, et choisissait mon ventre pour maison.
    Elle regarda les femmes, eut un rire menu, ravala un sanglot. Lui vinrent aux yeux des larmes de bonheur difficile. Béatrice l’attira tendrement contre elle et de son oreille approcha la bouche. Mersende haussa les yeux pour prendre le ciel à témoin de l’extravagance des filles, mais rien de plus ne fut dit, car leurs trois visages tout à coup à l’affût restèrent à fixer, au-delà du torrent, les fourrés de grands buis et de chênes verts d’où venaient de brusques bruissements de feuilles remuées par l’avancée d’un cavalier qu’elles ne pouvaient encore voir.
    Leur apparurent d’abord le mufle et le poitrail d’un cheval gris, puis au travers des épaisses broussailles surgit un homme grand à la figure maigre, aux cheveux empoissés de sueur, au poing armé d’une longue dague qu’il arracha, dans une averse de rameaux et de brindilles, à l’agrippement des ronces avant de faire halte sur le pré de la rive. Là, maudissant sourdement mille dieux il se débarrassa d’un arc et d’un carquois qu’il laissa choir dans l’herbe, mit pied à terre, vint s’accroupir au bord de l’eau vive, plongea mains et bras jusqu’aux
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