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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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revers de vie ? Elle ne s’était jamais hasardée à le questionner. Elle redoutait trop son silence probable, et son regard aigu, et son vague sourire.
    C’était un solitaire. De la plus haute cabane accolée hors les murs au rempart du château il avait fait sa tanière à l’écart de tout monde, tant de Pierre et de Péreille qui vivaient au donjon avec femmes et filles que des autres masures de-ci, de-là plantées, alentour des murailles, sur les pentes du mont. Dans ces maisons éparses demeuraient les religieux sur qui régnait Bernard Marti, leur maître vénéré, et l’hétéroclite communauté des réfugiés de la plaine : paysans sans labours et bergers sans troupeaux, tisserands et potiers privés de leur village, boutiquiers sans échoppes, tous échoués sur ce bord de ciel au bout d’exodes incertains, contents quand à leur soupe maigre étaient l’épouse et la marmaille.
    Jeanne avait trouvé là une bâtisse ruinée qu’elle avait relevée avec l’aide empressée de ses proches voisins, d’un maçon de Toulouse et d’un charpentier d’Auch. Avant ce soir béni où Jourdain avait poussé sa porte, quatre fois au hasard des chemins de montagne ou de l’ombre des remparts ils s’étaient vus venir l’un vers l’autre. Les plus fugitives images de ces rencontres étaient restées précisément inscrites dans sa mémoire, gestes à peine ébauchés, brefs éclats de regard, soleil sur une épaule, abris d’averses, rires, éloignements dans le vent nuageux. Un matin où menaçaient des giboulées, cheminant derrière elle sur le sentier montant il l’avait déchargée d’un fardeau de chaumes et l’avait accompagnée jusqu’à son chantier de demeure où travaillaient les hommes. Là il avait fait halte pour examiner l’ouvrage, puis il était tout à coup monté sur le toit troué et s’était préoccupé de la rectitude des solives avec la rigoureuse application d’un maître des lieux. De le voir ainsi parmi ses ouvriers Jeanne n’avait plus tenu son cœur. Dès qu’il était redescendu dans l’encombrement des gravats elle s’était empressée de dépoussiérer sa tunique à grands envols de torchon en lui disant dans sa joyeuse ivresse qu’elle serait la plus heureuse des femmes s’il acceptait d’allumer le premier feu de son nouveau logis.
    Le jour dit, de grand matin elle avait couru à la forge du château où Jourdain s’affairait, dans l’ombre rougeoyante, à ferrer son cheval. Avant même qu’elle le salue il lui avait demandé, sans cesser de tisonner les braises du foyer, si sa maison était enfin couverte. Elle lui avait répondu que oui, mais n’avait pas osé le prier à nouveau d’y venir. Il s’était campé un moment devant elle, lui avait souri, puis avait essuyé la sueur à son front d’un revers de poignet et s’était attelé sans autre mot à clouer un fer au sabot de sa bête. Elle s’était enfuie.
    Toutes les nuits au gré de ses veilles rêveuses elle affinait encore jusqu’aux détails infimes chaque instant de ce soir magnifique. Lui revenaient d’abord le bruit d’un pas tranquille, dehors, sur le gravier, puis les coups à la porte, l’homme espéré dans une échappée de ciel crépusculaire, sa haute taille courbée sous le linteau du seuil, son hésitation à entrer comme au bord d’une faute. Elle avait feint d’être surprise, par souci de tenir en bride ses diables qui l’auraient volontiers poussée à bondir à son cou. Elle lui avait offert un bol de lait, et tandis qu’il buvait, accoudé à la table, ne sachant à quoi se vouer elle s’était occupée aux brindilles depuis le point du jour mille fois ordonnées entre les pierres de l’âtre. Elle ne l’avait pas entendu s’approcher. Comme il se penchait à son côté elle avait serré son châle sur sa gorge où son cœur s’emballait. Il s’était tranquillement étonné qu’elle n’ait pas confié ce premier feu au vénérable Bernard Marti, ou à quelque autre parfait de la communauté. Elle n’avait pas su lui répondre. Alors il ne s’était plus soucié que de l’humble cérémonie pour laquelle il était venu, et retenant ses mains qui voulaient l’assister elle l’avait regardé ébouriffer les brins de bois à sa manière d’homme accoutumé aux campements et battre la pierre à briquet parmi la paille.
    Se redressant ensemble ils s’étaient trouvés face à face, les souffles presque joints. Un moment tous deux s’étaient ainsi
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