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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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fit un signe aussitôt effacé dans l’obscurité mouvante. Sa compagne appela Thomas d’une plainte trop enfantine pour émouvoir le tumulte. Le silence revint. Un coq s’égosilla.
    — Dieu veuille nous les rendre en heureuse santé, murmura Béatrice aux dernières étoiles.
    — Allons, dit Jeanne, Dieu ne veut rien.
    Pierre et Jourdain, au loin, franchissaient le torrent, et le jour se levait.

2
    Par les monts sans chemins Pierre de Mirepoix mena longtemps sa troupe, l’éperon vif aux escalades difficiles, la voix rageuse au plus dru des fourrés et la claque sonore sur la croupe de sa jument noire aux franchissements des ruisseaux, des fondrières et des vieux chênes abattus au travers de son galop. Trois fois dans des clairières il retint sa monture, hésita un instant et tout soudain arqua impatiemment sa route sans prendre le conseil de personne. Par vallées traversées, remontées promptes, sommets franchis et biais malaisés, indifférents aux sangliers débusqués, aux envols de perdrix, aux lièvres enfuis devant leur chevauchée, tous derrière son épaisse carrure coururent la forêt d’Ariège jusqu’à parvenir, parmi des arbustes peu à peu dispersés, à la lisière d’une lande.
    Là, levant haut la main, Pierre ordonna l’attente à l’abri du plein jour et se mit à flairer l’espace découvert avec une méfiance de grand fauve soucieux d’éviter la fréquentation des hommes. Alors Jourdain poussa seul son cheval par les buissons bas jusqu’à l’horizon proche. Chacun sans mot ni bruit le vit se tenir immobile contre le bleu du ciel, puis s’en aller le long du bord du monde, disparaître dans un creux de garrigue, resurgir d’un élan sur sa bête cabrée et de loin revenir en désignant la ravine à l’écart du sentier.
    Pierre rameuta ses soudards d’un moulinet de bras et rejoignit son compagnon. En course oblique ils parcoururent la friche. Par un lit de torrent sec au large d’un entassement de toits à peine aperçus parmi les rocs et l’herbe grise ils gagnèrent un nouveau bois et, le dos courbe, s’y enfoncèrent comme des diables fuyant le soleil de Dieu.
    Vers midi, près d’une ruine de chapelle fut donné l’ordre de la halte. Chacun délaça sa tunique et s’assit avec son pain et ses fromages durs à l’ombre des vieux murs où frémissait du lierre, tandis que les écuyers menaient les chevaux boire au bas d’un raidillon. Pierre chercha Jourdain, l’aperçut installé contre le tronc d’un orme à l’écart des sergents, vint lourdement à lui et l’air fort satisfait lui dit en débouclant son ceinturon sur sa bedaine :
    — Nous avons fièrement avancé, mon tout beau.
    Jourdain ne pipa mot. L’autre s’accroupit, du bout de son couteau embrocha un croûton et quelques figues sèches au fond du sac ouvert de son frère de cœur. Il dit encore, remuant et rieur :
    — Ne fais pas ton bénédictin, bonhomme. Tu crèverais plutôt que d’avouer un soupçon d’intérêt, mais je te connais. Tu voudrais bien savoir vers où je vous conduis, toi et nos bonnes gens.
    — À coup sûr vers le nord, lui répondit Jourdain. Sans doute en Lauragais.
    Pierre hocha la tête, et poussant vivement, comme un joueur comblé :
    — Bien vu. Pour quel travail ? Allons, demande-moi.
    Jourdain resta muet, un moment s’amusa en secret de l’envie débordante qui brillait dans l’œil noir du joufflu. Il répondit enfin :
    — Je croyais que tu avais juré de ne rien dire.
    — À toi je peux.
    — Jusqu’à quand dois-tu tenir ta langue ?
    — Demain soir, si tout va, dit Pierre à grand regret.
    — Tais-toi donc, bougre d’âne, lui répondit Jourdain. Les promesses sont saintes, et moi je suis content d’aller sans savoir où.
    Un frelon vint entre leurs visages, bourdonna, à peine mouvant dans un rayon éblouissant remué par la brise. Pierre d’un revers de dague le chassa, et soudain revenu de sa bouderie, rayonnant comme un soleil au sortir d’un nuage :
    — Ceci, tu peux l’entendre sans que je manque à ma parole. Écoute bien ton Mirepoix. Il sait. Il ne ment pas.
    Il s’agita sur ses larges fesses, savoura un instant d’attente délectable, puis :
    — Tu reverras bientôt ton château du Villar, tes forêts, tes jardins, tes musiciens arabes. Nous fêterons chez toi notre prochain Noël, c’est écrit dans le ciel. J’y veux un porcelet à la broche pour moi seul, te voilà prévenu.
    Jourdain le regarda,
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