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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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dire le sens de cette parole énigmatique qu’il avait un jour reçue de Khédir, comme une pierre dans son cœur : « Tu ne seras pas construit tant que tu ne seras pas en ruine. »
    Il s’était sans cesse redit ces mots, le jour mémorable où les inquisiteurs de Toulouse l’avaient défait de ses biens. Il était parti, soulagé au fond de lui d’aller sans autre espoir que ciel clair et bon vent. Thomas l’avait suivi parce qu’il admirait ses silences de voyageur lointain. Sans doute rêvait-il aussi de chemins infinis. Béatrice avait enfourché derrière lui sa mule. Comme ils le rejoignaient hors des remparts au petit trot de la monture, « Voyez, messire Jourdain, lui avait dit le garçon, fier comme un coq maigre, cette pécore ne veut pas vivre sans moi. Je ne peux la laisser à ces diables d’Église, elle ne survivrait pas ! »
    Ils avaient erré quelques jours au hasard. À la foire Saint-Georges de Toulouse un messager était venu vers eux. Cet homme avait dit à Jourdain que Pierre de Mirepoix le faisait partout chercher depuis qu’il avait appris ses déboires. Tous trois étaient allés à lui dans son château d’Ariège. Les jeunes gens avaient passé leur temps de route entre disputes aigres et rêveries inquiètes, aux haltes nocturnes, serrés l’un contre l’autre comme des oisillons. À Montségur ils s’étaient établis dans la même cabane, et n’était point passé de jour sans que Jourdain songe secrètement à reprendre son chemin. Mais pour quel but ? Quelle promesse ? Il avait attendu. Il attendait encore.
     
    — Nous voici proches de chez nous, mon maître, cria Thomas derrière lui, à quelques foulées de cheval.
    Seuls ensemble parvenus à la fin des arbres, sur une butte peuplée de rocs et de hautes avoines rousses courbées sous la brise du soir ils s’arrêtèrent pour reprendre haleine. Comme ils contemplaient devant eux la vaste plaine du Lauragais que joignait au ciel, à l’horizon sans fond, la mélancolie du crépuscule :
    — Est-ce sur nos terres que nous allons combattre ? demanda le garçon.
    Et dans un rire d’enfant ébloui :
    — Le cœur me bat, c’est la fatigue. Si vous me répondez que oui, je crains qu’il ne se rompe.
    — Oublie Villar. Ce soir nous camperons ici. Demain nous mettrons cap à l’ouest, lui répondit Jourdain, désignant des lisières de bois le long des vignes, des champs, des brumes pourpres.
    — Contre qui allons-nous ? Le savez-vous mon maître ?
    — Je l’ignore.
    — Qu’importe, dit Thomas. Monseigneur de Mirepoix ne peut nous conduire qu’à bonne guerre. J’ai hâte de prendre de ces mauvaises vies qui nous infectent l’air.
    — Prendre une vie n’est ni bon ni facile, fils. Rien ne nous justifie de le faire, sauf de risquer la nôtre. Garde-toi de t’exalter.
    Une rumeur de piétinements, de souffles fourbus et de cliquetis d’éperons envahit derrière eux l’air calme. Ils tournèrent bride et sans hâte rejoignirent Pierre qui s’égosillait à rassembler sa troupe égaillée parmi les hautes herbes et les buissons épars. Le grand diable fit tournoyer sa jument pour s’assurer qu’aucun de ses gens n’était attardé, puis désigna un bouquet de pins et ordonna que l’on attache là les montures.
    Les hommes mirent pied à terre et menèrent leurs chevaux au petit bois. Comme ils se dispersaient, de l’abri des arbres jaillit soudain droit comme flèche un hurlement strident mêlé d’imprécations batailleuses. Pierre et Jourdain, qui déjà s’installaient au pied d’un haut rocher, d’un bond se redressèrent, en alerte soudaine. Près d’eux, entre les mufles de leurs chevaux tenus par la boucle des rênes, Thomas se prit à pousser des « ho, ho » stupéfaits, voyant apparaître sous les nuées mauves la grande carcasse d’Esclassan Mange-Fort, fauconnier de Péreille et sergent d’occasion qu’il avait de longtemps jugé simple d’esprit parce qu’on ne pouvait guère lui parler, même de choses graves, sans qu’il vous rie au nez à petits coups distraits. Pour l’heure il brandissait d’une main un lièvre colleté de chanvre et de l’autre tiraillait par le poignet une fille échevelée qui le suppliait et le houspillait et se débattait avec une sauvagerie de louve. Une brusque saccade la fit tomber de son long dans les avoines et les coquelicots. Cul par-dessus tête elle roula, se releva d’un coup de reins, malgré l’escogriffe qui
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