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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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plus roide et circonspect qu’un confesseur de filles. L’autre, le voyant ainsi, se prit à rire haut et franc, puis se pencha en avant, et les mains volubiles se risquant en brèves bourrades :
    — Allons, réjouis-toi, dit-il encore en confidence jubilante. Nous allons allumer un si bel incendie qu’on le verra d’ici à Saint-Pierre de Rome, et pour peu que le vent l’attise comme il faut les clercs inquisiteurs avant qu’il soit longtemps n’oseront plus sortir de leurs tanières, et foutredieu ! les barons français fuiront tous en couinant derrière leurs chevaux, les bras au ciel et le feu aux sandales !
    — Tu rêves, dit Jourdain, gagné par la joie du compère.
    — Tu ris triste, c’est mal.
    — Mais non, je suis content.
    — Flaire un peu l’air d’ici, Jourdain, j’y sens déjà la renaissance. Flaire donc, mécréant !
    — Eh ! nous allons combattre ! À moi, cela suffit.
    — Combattre ne vaut rien si l’on n’a pas d’espoir. Moi j’en ai pour mille ans.
    — N’aie pas peur, mon caillou. Moi j’en ai pour demain.
    Ils se turent le temps d’un battement d’ailes d’oiselet parmi les miettes, dans le torchon ouvert sur l’herbe.
    — Je ne suis plus celui qui a perdu Villar, et Villar vit sans moi, et le monde sans toi, depuis qu’il t’a jeté sur ta montagne avec ta garnison de village, dit encore Jourdain, déjeunant lentement. Pierre, crois-moi, n’attendons rien des autres. Nos pays sont perdus.
    — Que me chantes-tu là ? Pourquoi marcherions-nous si nous n’avions pas foi ? Pour l’honneur ? Moi, je veux davantage.
    — Nous marchons parce que nous n’avons pas d’autre choix. Nous marchons pour ne pas nous morfondre. Allons, tu sais bien que nous mourrions de honte s’il nous fallait flatter ceux qui nous ont tout pris.
    — Tu divagues. Tu m’as assez parlé de ta forêt des Fages et des fraîcheurs de ta maison forte, quand nous n’avions à boire que notre propre sang dans le désert de Palestine. Tu as tout oublié, brigand ? Pas moi. Je veux vivre à nouveau en maître libre sur mes terres, aimant qui me convient, Sarrasin, Bourguignon, hérétique ou curé. Et je veux que les gens du roi de France retournent à leurs vaches grasses et nous rendent nos loups, nos saints, nos châteaux, nos villes et nos putes. J’en manque, à Montségur. Philippa est trop prude. Et moi, seigneur de Mirepoix, je n’ai même plus la liberté d’aller jouir à Foix !
    Il se tut, se tint un moment hautement scandalisé par ces misères éhontées qui lui étaient faites, puis peu à peu se reprit à rire sous le regard de son compagnon occupé à dévorer ses figues, l’œil amenuisé par un sourire railleur. Pierre lui pointa sous le nez son couteau.
    — Ne te moque pas, dit-il. Sans moi tu serais peut-être à cette heure comme un vieil ours couvert de liseron, planté devant ta grotte à ruminer ton dégoût du monde.
    — J’ignore ce qu’est le monde, lui répondit Jourdain. Je sais un peu de quelques hommes, voilà tout.
    Et nouant les lacets de son sac :
    — Le vieux Marti m’a dit hier soir une parole de vrai bon sens : il faut tout faire comme si rien ne devait nous être donné en échange et en même temps cheminer comme si Dieu nous menait sans cesse à des miracles.
    Il eut un éclat de joie fugace à voir son compère rester devant lui bouche bée, sans paraître comprendre, puis, tout à coup bourru :
    — Cela signifie que nous avons ensemble raison, gros pendard.
    L’autre approuva d’un hochement illuminé. Ils se levèrent Pierre étira ses membres au soleil, frotta des poings ses yeux et dit, après qu’il eut bâillé comme un lion :
    — Crois-en ton frère, mon beau. Nous avons de sacrés jours à vivre, toi et moi. Tout serait pour le mieux si tu aimais parler des femmes. En Palestine tu paillardais à peine et tu n’en disais rien. À Montségur je t’ai quelquefois vu avec ta tisserande de Vendines, mais je jurerais que tu ne lui as jamais soulevé l’habit.
    — C’est une bonne fille, dit Jourdain.
    — Tu l’as troussée ? Avoue donc, sacredieu !
    — Qu’importe.
    — Raconte. A-t-elle bien joui ?
    Jourdain haussa l’épaule.
    — Comment savoir ce que sentent les femmes ? dit-il.
    Et soudain, comme il bouclait la selle sous le ventre de son cheval :
    — Pierre, où allons-nous ?
    Il entendit au-dessus de sa tête son compère lui dire à voix basse et contente :
    — Dans ton
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