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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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qu’il ne comprit pas. Parvenue devant lui, il la vit si contente et frileuse qu’il la prit dans ses bras, et réchauffant son dos lui demanda vers quel diable de bonheur elle courait ainsi. Alors elle leva vers lui son visage et lui dit, échevelée, haletante, radieuse :
    — Messire du Villar, vous avez un garçon. Il est beau, il crie fort et sa mère est vivante.

15
    Peu de temps après cette naissance, Pierre de Mirepoix et Bernard Marti décidèrent de confier à Jourdain la réserve d’argent et de biens monnayables dont Bernard avait eu jusqu’à ce jour la garde, soit soixante-douze bourses de sous toulousains, huit livres enluminés et douze objets de cuivre et d’or. Ils lui demandèrent de fuir avec ce trésor avant que le château fut abandonné au sénéchal des Arcis, de l’acheminer en grand secret à la maison forte d’Usson, et là de le remettre à trois parfaits qui se feraient connaître de lui quand bon leur semblerait. Rien ne fut dit de ces hommes, sauf que le plus vieux était éleveur d’abeilles, son cadet tisserand et l’autre colporteur. Jourdain refusa de partir avant que Jeanne et l’enfant fussent en état d’affronter les intempéries de la route. Il fut convenu qu’il quitterait la montagne la nuit même de la reddition avec sa compagne et son fils.
    Leur dernier jour à Montségur fut le quinzième du mois de mars. Jeanne et son nourrisson emmitouflé sur son ventre passèrent l’après-midi blottis dans un coin de l’écurie auprès de Mersende qui avait résolu de brûler dans le même feu que Bernard. Aux exhortations de son amie, la vieille femme ne répondit que par grognements, haussements d’épaules et brefs éclats de rire acide. Elle ne se voulut préoccupée que de l’enfant. Elle le prit à sa mère, tandis que lui étaient faites d’ultimes prières de vivre, et se mit à le bercer avec une tendresse farouche, sans cesser d’édicter préceptes, précautions et remèdes contre les coliques et les maux de poitrine. Voyant enfin que Jeanne, en pleurs dans son tablier, ne l’écoutait guère :
    — Hé ! lui dit-elle, voilà quarante années que je m’épuise à courir au train de mon homme ! J’ai connu avec lui les pires chemins de cette basse terre. Et maintenant qu’il est à la porte du paradis, tu voudrais, malotrue, que je reste dehors ? Ah ! que non ! Le repos qui nous vient, nous le prendrons ensemble. Tiens, reprends ton petit, il m’a pissé dessus. Et sèche donc tes larmes, elles aigrissent ton lait. Dieu te garde, ma Jeanne, et qu’il donne à ton fils tous les bonheurs du monde.
    Elle s’en fut ainsi, en marmonnant encore. Au seuil de l’écurie elle hésita, parut flairer l’air froid, brandit brusquement son bâton en signe de salut et s’enfonça dans la foule qui peuplait la cour.
     
    Jourdain vécut tout ce jour-là avec Thomas l’Écuyer. Le garçon le suivit partout, intrigué par les préparatifs de départ qu’il lui voyait faire. Il dit enfin à son maître qu’il avait deviné son intention de fuir et qu’il le suivrait où qu’il aille. L’autre, qui jusque-là n’avait pas répondu à ses questions, lui ordonna soudain d’aller boucler son bagage et de se tenir prêt, dès la nuit tombée, à la poterne basse. Thomas disparut aussitôt parmi les gens en appelant à grands cris Béatrice.
    Au crépuscule, Pierre rejoignit son frère d’armes dans le donjon où étaient les deux sacs dont il devrait charger sa monture. Ils soupesèrent ces fardeaux, parlèrent de la solidité des bandes de cuir qui les liaient ensemble, de la brume possible sous le couvert du bois, de pauvres riens pour dire tout, leur affection intacte et le poids de leur âme, leurs espoirs et leur dénuement, la force inexprimable qui les poussait à vivre. Pierre ne cessa d’errer dans la salle, le regard en peine comme s’il cherchait son cœur perdu. Il semblait étouffer dans sa grande carcasse. Jourdain lui demanda si des gens des cabanes, outre Bernard et ses parfaits, avaient décidé de se donner au feu.
    — Beaucoup, répondit l’autre. Et parmi eux seront l’épouse de Péreille et sa fille Esclarmonde.
    Il vint devant la cheminée, gonfla son large torse, ravala un sanglot et dit soudain, les yeux mouillés :
    — Embrasse-moi, bandit.
    Ils restèrent longtemps étreints à se donner l’un l’autre à la grâce de Dieu, par bribes sourdes. Le pas d’un serviteur les fit se désunir. Ils se quittèrent sans
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