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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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travers de la piétaille accourue de partout et aussitôt repoussée au large, à grands piaillements et envols de manches, par les moines qui lui faisaient escorte. Pierre, du haut du donjon, vit son long manteau rouge environné de peuple franchir le gué du torrent, puis regardant en bas dans la cour du château il aperçut Jourdain immobile au milieu des hommes et des femmes qui couraient en tous sens en criant au malheur. Il hurla son nom dans ce vacarme, tout à coup pris de fureur autant que d’épouvante, tandis qu’une nouvelle nuée de flèches traversait le ciel clair. Aucune ne tomba parmi les affolés. Jourdain leva le front, fit un signe à son frère d’armes, s’en alla, bousculant les gens sur son passage, et disparut sous l’arc de la poterne.
     
    Il courut à la maison où Jeanne était à son ménage. Il la trouva devant la pierre de l’âtre occupée à disposer des brindilles sur les braises cendreuses de la nuit. Quand il ouvrit la porte elle se redressa, placide et lente, une main sur son ventre rond et l’autre renfonçant des boucles sous sa coiffe. Elle ne savait rien de ce péril mortel qui désormais menaçait l’air qu’ils respiraient. Elle avait cette mystérieuse sérénité des femmes qui portent la vie comme un monde, sans souci des passagères agitations des jours. Elle demanda nonchalamment s’il faisait beau dehors. Jourdain lui répondit que les gens du sénéchal des Arcis avaient pris pied sur le sommet de la montagne et occupaient la tour de l’est. Elle ne bougea plus, resta longtemps pensive. Comme le feu nouveau crépitait contre le mur, elle prit la main de son homme et se tint tête basse tandis qu’il caressait sa joue du bout des doigts. Elle s’en fut enfin au seuil de la demeure.
    — Si tu voulais, dit-elle avec une sorte de lassitude rêveuse, nous pourrions par le bois descendre au roc Saint-Jean, là attendre la nuit et prendre le chemin de Villeneuve d’Olmes. Il n’est pas surveillé. Les gens de Montferrier qui sont venus chez nous l’ont suivi l’autre jour sans rencontrer personne. Mais tu ne fuiras pas.
    Elle laissa aller son bras qui désignait des sentes indécises puis leva vers lui ses yeux noirs. Il la vit si implorante qu’il se détourna d’elle. Il dit, tout renfrogné :
    — Tu partiras avec Béatrice et Thomas. Vous irez à Toulouse, chez Sicard Lalleman. Il prendra soin de vous.
    Elle remua la tête de droite et de gauche, mais il ne la vit pas refuser de l’entendre, il regardait au loin, où était la tour prise. Il dit encore :
    — Pour l’instant, ne sors pas.
    Il la prit par l’épaule, et soudain l’étreignant à toute force :
    — Gardez-vous tous les deux. Il faut que l’enfant vive. Aussi furieusement qu’il l’avait embrassée il se défit d’elle et s’en alla.
    Elle revint s’asseoir auprès du feu. Dans le brouillard mouvant qui troublait son regard, à gestes mesurés elle se remit aux travaux simples et nécessaires, posa deux bûches sur les rougeoiements du petit bois, emplit son chaudron d’eau, essuya ses mains à son tablier puis, contemplant les flammes, elle se prit à parler en silence à cet être qui n’était pas du monde et qui pourtant vivait, et qui n’était pas elle et qu’elle palpait là, pourtant, dans la nuit de sa peau. « Mon fils, mon fils, dit-elle, partirons-nous sans lui ? Tu veux vivre, je sais, quels que soient tes douleurs à venir, tes chagrins, tes errances, tu n’as désir et faim et soif que de vie seule. Oh ! je sens bien ta belle rage ! Tu veux sortir de ce giron où je te tiens, brigand, et respirer notre air, et mordre à mon téton, et te soûler de lait, et grogner, et grandir, et dévorer ta part de temps sur notre terre. Certes, je te connais. Que t’importe ton père ! S’il vit tu t’assiéras, fiérot, dans ses deux mains ouvertes, s’il meurt tu marcheras tout seul hors des routes tracées, furieux et ravageur sans trop savoir pourquoi. Oui, ainsi tu feras, s’il meurt. Tu vivras, c’est promis, quoi qu’il puisse arriver. Dieu t’a donné des yeux, moi, je te donnerai la lumière du jour. Mais, s’il te plaît, toi qui te tiens encore dans ce pays sans fond où demeure le Créateur de toutes choses, demande-Lui de t’aider à sauver celui qui t’a poussé dans mon ventre. Jourdain est son nom. Il te porte dans son corps autant que je te porte, mais il ne le sait pas. Il croit qu’il t’imagine, ou qu’il rêve de toi. Bouge
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