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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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le visage, lui dire que peut-être, s’ils pouvaient librement quitter cette montagne, ils pourraient se connaître, jouer dans des jardins et s’apprendre l’un l’autre les beautés de la vie. Lui vinrent des élans d’amour si longtemps ravalés qu’il en suffoqua presque malgré le froid du large. Son bonheur silencieux dura trois journées pleines, ensoleillées et calmes, jusqu’au matin de la deuxième semaine de décembre, où des nuées de flèches traversèrent soudain le ciel de la cour et tombèrent fichées sur les toits des auvents.

14
    Au cours de la nuit, une troupe de mercenaires basques avait escaladé la falaise de l’est. Des parois qui plongeaient du mont dans la vallée, c’était la plus profonde et la plus effrayante. Nul vivant, sauf ailé, ne paraissait capable d’une ascension si haute. Ces hommes intrépides s’étaient pourtant hissés, de failles incertaines en saillies avidement palpées au-dessus de leur tête, le front contre le roc, sans jamais regarder plus haut que leurs doigts gourds ni plus bas que leurs pieds ou de loin en loin cascadaient des cailloux dont les dévalements se perdaient dans des fonds infinis. Une heure avant le jour ils étaient parvenus à l’extrême pointe de la cime. Là, plantée face à l’abîme, était une tour séparée du château par une friche où serpentait un sentier parmi les buissons et les fondrières. Un garçon du château battait la semelle à sa porte, fier de l’épée qui pendait à son flanc pour sa première nuit de garde sur la montagne. Il n’avait eu que le temps d’ouvrir grand les yeux entre son casque bas et sa bouche tout à coup bâillonnée par une poigne ombreuse. Un bref éclat de fer avait troué son cœur. Les routiers un à un s’étaient glissés dans la bâtisse. Ils ne s’étaient pas attardés aux pieux et aux guenilles qui gisaient dans des lueurs de lune tombées d’une trappe haute. Par un escalier de longues pierres à peine dégrossies fichées dans la muraille ronde ils étaient montés sans bruit sur la terrasse. Tapis au bord de l’air nocturne ils avaient vu assis autour d’un maigre feu dix sergents somnolents aux corps enveloppés de couvertures sombres. Certains dodelinaient et ronflaient par à-coups, d’autres buvaient aux gourdes. À peine avaient-ils sursauté quand ces êtres silencieux, nerveux comme des fauves, armés de dagues vives, avaient bondi sur eux. Avant que les veilleurs n’aient saisi leurs ferrailles éparses tous étaient en désordre affalés dans la mort et vomissaient leur sang en ruisseaux bouillonnants. Les assaillants les avaient fait basculer dans le gouffre d’où seuls leur étaient parvenus quelques bruits d’éboulis lointains et dérisoires. Puis en mangeant leur pain et leur fromage ils avaient pillé les sacs de cuir laissés là par les massacrés.
     
    Comme l’aube venait ils s’étaient accroupis à l’abri des créneaux pour épier d’un œil le château qui peu à peu émergeait de la nuit au bout du chemin de crête. Ils avaient vu les sentinelles insouciantes aller et venir en haut des murailles, des gens frileux sortir par la poterne et souhaiter le bonjour à d’autres au seuil des cabanes, Bernard Marti sur le pas de sa porte et Mersende trottant le long du rempart, dans la brume du petit matin, avec un pot de lait de sa chèvre. Ils étaient restés un long moment assemblés sans rien dire au sommet de cette tour conquise, émerveillés comme des voleurs célestes enfin parvenus à portée de ce lieu tant convoité que tous croyaient inaccessible. Puis comme pour saluer le jour l’un d’entre eux s’était dressé, il avait décoché une flèche vers cette cour lointaine derrière le haut mur, et tous ensemble après lui avaient tiré leurs traits dans le ciel rougeoyant et pâle.
    Au même instant dans la vallée le sénéchal des Arcis, venu par les rocailles au pied de la falaise avec des moines et des chevaliers de sa suite, remuait du bout de l’épée dégainée le plus bas des cadavres dégringolés du haut du mont. Ses gens lui désignèrent au-dessus d’eux d’autres corps en lambeaux suspendus à des pointes de rocs, mais son regard effleura à peine ces morts. Il examina longuement l’à-pic et dit à ses gardes qu’il fallait maintenant aménager une voie praticable par des crevasses et des coulées herbues que son arme tendue suivit dans le matin bleuté. Après quoi sans autre mot il rebroussa chemin au
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