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L'expédition

L'expédition

Titel: L'expédition
Autoren: Henri Gougaud
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cascades vivaces parmi la vieille neige, au sortir d’une courbe de la route ils avaient découvert, plus haut que toutes cimes, Montségur presque blanc dans les nuées plombées. Ils avaient retenu leur mule pour contempler, la bouche bée, ces murailles célestes. Mais ils n’avaient guère eu le temps de s’ébahir, car au bord du mont que contournait la sente avait soudain surgi, l’enjambée longue et ferme, une sorte d’errant sauvage aussi basané qu’un Maure et de pied en cap emmitouflé dans une fourrure d’ours. Cet homme au front coiffé de la gueule du fauve à trois pas d’eux avait mis son bâton à l’épaule, les avait salués d’un hochement vigoureux, puis désignant la forteresse apparemment inaccessible il avait dit qu’il en venait. Comme les autres, perplexes, l’examinaient sans piper mot, l’escogriffe s’était enhardi à soulever la bâche du chariot, et après qu’il eut bu une interminable lampée à l’outre de piquette suspendue au bat-flanc il avait conseillé à ses frères et sœurs de rencontre, s’ils avaient assez de bon sang dans les cuisses, de grimper jusqu’à ce haut lieu avec leurs marchandises. Autant que d’armes on y manquait de farine et de sel. Ils y étaient allés en vendre.
     
    Jeanne avait décidé de ne pas pousser plus avant. Il n’était pas au monde de refuge plus sûr. Depuis que Raymond de Péreille avait offert la citadelle à l’Église des Purs, quelques parfaits et parfaites vivaient là, aussi paisibles que dans la main de Dieu, hors de portée de la fureur des princes, des fulminations des prélats, des mille confusions du siècle. Partout, sauf sur cette montagne, n’étaient que peste d’âme et peur de brûler vif. Les nobles de Béziers, Foix, Provence, Comminges donnaient leurs fils et filles en mariage aux Français, tendaient au pape leur sébile et se crachaient entre eux leurs rancœurs de vaincus. D’hérésie clandestine en effroi des soudards et des dominicains le peuple peu à peu tombait en désespoir. En vérité, les bonnes gens n’avaient plus sous la peau que la honte de vivre asservis pis que chiens.
    Certes, on allait aux danses, on festoyait aux soirs des moissons, on donnait sa pâture à ce désir d’insouciance qui ne s’éteint jamais, même au plus noir des temps. Mais certains jours les piaillements des enfants à l’orée des villages faisaient se redresser les hommes dans les champs et se signer les femmes. Ils annonçaient les lourdes voitures aux rideaux de cuir où voyageaient les juges inquisiteurs avec leurs cortèges d’acolytes et de greffiers aux capuchons alourdis de registres. Leurs tribunaux plantés sur les places publiques creusaient les cœurs, grattaient la moindre plaie, la moindre salissure, forçaient le moindre geste à s’avouer fautif, répétaient sans pitié des questions torturantes. Parfois ils condamnaient au bûcher, au cachot, ou à courir à Compostelle. Et quand ils repartaient avec leurs chants de grâces ne restaient derrière eux, dans les fumées d’encens, que haine inexprimable et désemparement.
     
    Seul Montségur se tenait hors de ces malheurs. Le lieu était si haut planté, gardé par des ravins si profonds et sauvages que pas un des barons de l’Église de Rome n’avait jamais osé se risquer sous ses murs. Pourtant, n’était là-haut qu’une troupe sommaire. Un cent de soldats, d’écuyers et de chevaliers sans terre se mêlaient au dortoir, aux veilles sur le chemin de ronde, à l’avoinée des bêtes, à l’entretien des cuirs, des fers et des créneaux. Pierre de Mirepoix et Jourdain du Villar commandaient à ces gens. Jeanne savait que les deux hommes avaient autrefois couru ensemble les déserts de Palestine. Elle leur trouvait un air de parenté qui l’intriguait beaucoup. Elle rêvait souvent à leur amitié forte. Elle aurait aimé vivre, elle aussi, ces rigueurs partagées et ces plaisirs étranges qui les avaient unis, sans doute pour toujours. Ces deux frères de cœur, pourtant, ne se ressemblaient guère. Pierre était dru de poil, joufflu, jovial, grossier, brigand dans l’âme. Il était l’héritier de Raymond de Péreille pour avoir épousé sa fille Philippa. Montségur et l’Ariège étaient ses biens présents ou fortunes promises. Il était riche autant que Jourdain était pauvre, dépossédé de tout, château, terres et bois, famille, maisonnée. Pour quel crime d’orgueil ou quel trébuchement ? Par quel
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