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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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vie après un décès ! Je comprends qu’un esprit rationnel se détourne du christianisme…
    Pendant mes années d’apprentissage philosophique, je refusais de considérer ces prétendus « mystères » qui réapparaissaient comme des aberrations intellectuelles, des contradictions de termes, de véritables « poissons solubles ». En bon rationaliste – en bon Pilate ! – j’excluais ce qui dérangeait ma raison et ma conception de la raison.
    Quelle frilosité ! Quel réflexe étroit ! Comme si la raison était tout l’esprit, et seule valable dans l’esprit… Comme si la raison ne devait pas être interrogée à son tour… Comme si l’appréhension de l’énigme du monde ne devait franchir que le crible étroit de la raison…
    Les philosophes classiques, plus sages et moins présomptueux que nous, distinguaient la raison naturelle (les raisonnements humains) et la raison révélée (les paroles transmises par les religions), n’excluant pas qu’il puisse exister un sens transcendant, un sens communiqué, un sens en dehors du seul sens produit par le cerveau humain.
    Pilate finit donc son enquête sur le seuil du mystère. À la différence de Claudia, il ne croit pas encore. Il demeure un intellectuel qui refuse de céder à la foi. Cependant il a définitivement changé car il admet que, dans l’histoire de Jésus, quelque chose lui échappe… Il a cessé de vouloir rendre compréhensible ce qui est incompréhensible, il dépose les armes de la raison…
    Peut-être un jour croira-t-il…
     
    Pilate, c’est nous. Claudia, c’est moi.
     
    Plus j’avance dans mon œuvre, plus je constate un divorce entre mon « moi social » et mon « moi écrivain ». L’homme que je suis en société montre de la fermeté dans ses convictions ; l’écrivain que je découvre en m’abandonnant à la fiction remet ces convictions en question et doute sans cesse. Si lors d’un entretien je réponds de façon ferme à certaines interrogations, tout redevient complexe dès que je prends la plume.
    À quiconque me demande brutalement si j’ai la foi, je répondrai, tout aussi brutalement : oui.
    En revanche, lorsque j’écris Le Visiteur ou maintenant ce roman de Jésus, ça redevient problématique. Plutôt que d’exposer ma réponse, j’approfondis la question. L’écriture me conduit au partage de l’interrogation, pas à celui de ma réponse. Au plus profond de l’acte d’écrire l’œuvre commande, et je ne veux pas qu’elle soit gauchie par ma réponse.
    Je n’ai jamais ambitionné de devenir un écrivain contagieux, un écrivain qui refile ses convictions aux lecteurs, un écrivain qui enseigne, qui instruit, qui se gagne des disciples. Quelle malhonnêteté ce serait ! Profiter de l’investissement émotionnel d’un roman ou d’une pièce pour manipuler l’intellect du public, c’est l’infantiliser, nier sa liberté. En réalité, je me fais une idée si haute du lecteur que je m’acharne à le respecter ; dès lors, dans mon texte, se creuse la dimension de l’autre, et apparaît le doute là où il y avait certitude.
    Écrire contraint de s’interroger.
     
    Craterios, philosophe cynique, me repousse autant qu’il m’amuse. Parfois je me dis qu’il va trop loin dans la provocation obscène, et que je ne devrais pas l’accompagner. J’ai la conviction que certains lecteurs vont me le reprocher et j’aperçois déjà la grimace indignée de mon père.
    Qu’ils comprennent que, même si je raconte l’histoire sainte, je ne veux pas enfiler les images pieuses. Il faut que la vie entre, avec sa chair, ses excès, son bouillonnement, ses humeurs, ses laideurs, sa grossièreté. Je ne veux pas peindre en bleu ciel et rose pastel. Surtout pas un sujet comme celui-ci.
    De plus, j’évoque une réalité historique. Le mouvement philosophique « des chiens » rencontrait un certain succès, à l’époque. Le cynisme de Craterios l’aurait peut-être emporté, autour du bassin méditerranéen, si le christianisme n’était apparu…
     
    Qui tue Jésus ?
    Le pouvoir et l’institution.
    Je ne sortirai pas de là. J’ai parfois entendu des débats ridicules où l’on tentait d’identifier un coupable : soit les Romains, soit les Juifs ! Mettons un peu d’ordre dans ces sottises.
    Premiers accusés : les Juifs ! L’antisémitisme, ce virus qui mue et change continuellement de forme au cours de l’histoire, a osé, dans l’un de ses avatars, s’appuyer
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