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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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sur cet argument pour se justifier : les Juifs ont tué Jésus. Mais alors, nous sommes tous juifs ! Si Jésus est l’histoire d’un Juif dans un pays juif, c’est un homme victime de ses compatriotes, rien d’autre. Lorsqu’il est recherché puis condamné par le sanhédrin, il est rattrapé, comme tous les mystiques et les êtres libres, par l’institution qui ne souhaite pas qu’on entende une autre parole que la sienne. Chaque Église, la chrétienne comme la musulmane, a, en son temps, chassé le franc-tireur, dénoncé l’hérésie, refusé d’entendre une voix différente, surtout lorsqu’elle devient populaire. Il y a là le classique réflexe de défense d’une institution puissante sur l’individu solitaire, mais rien de spécifiquement juif.
    Seconds accusés : les Romains ! Pilate, en l’occurrence, est désigné depuis des siècles comme « le bourreau du Christ ». Derrière cette accusation on sent le soupir de soulagement poussé par une Europe enfin chrétienne, après bien des larmes et du sang, une Europe qui se réjouit d’avoir rejeté le monde romain, donc païen, dans l’Antiquité… Loin de moi l’intention de réhabiliter ce personnage dont on ne sait pas grand-chose : je m’en sers autant que je le sers.
    Pilate réagit en politique, pragmatique et soucieux d’éviter le désordre, de soigner ses rapports avec les alliés qu’il contrôle, le Grand Prêtre en premier. Il ne se comporte pas en Romain, mais en occupant.
    Dire autre chose me semble une ignorance de l’histoire passée, doublée de mauvaises intentions pour le présent.
     
    Un mystère est ce qui donne continuellement à penser.
     
    Aujourd’hui 28 mars, jour de mon anniversaire, les livreurs se succèdent à ma porte : me voici couvert de bouquets comme s’il s’agissait d’un soir de première. Mon bureau, où éclatent les tulipes, bourgeonnent les lilas et s’alanguissent les lys, évoque la loge d’un comédien plutôt que l’étude d’un écrivain.
    Sentiment d’être un peu aimé.
    Parmi ces fleurs qui viennent toutes de Hollande mais qui me sont envoyées de France, une énorme brassée de roses me touche différemment. Mon éditeur Richard Ducousset a pensé à moi.
    J’ai toujours été bouleversé par le premier bouquet que m’envoie un être. Rougissant, un peu fébrile, le cœur battant, je l’appelle pour le remercier. Bavardage délicieux, désordonné, vagabond, nous bruissons comme deux frelons au dessus du jardin. Puis arrive la pointe :
    — Et votre livre ?
    — J’ai besoin de le relire encore.
    — Cela fait sept ans que vous le relisez. Que se passe-t-il ?
    Je brode, je minimise, j’invente. Incapable d’avouer que le livre m’a été volé, craignant qu’il doute que je parvienne à le récrire et le finir à temps, je lui assure que ce n’est plus qu’une question de deux ou trois semaines.
    Cela me permettra de dire la même chose dans deux ou trois semaines…
     
    Pour l’heure, personne n’a encore rien lu.
    Bruno M. me voit travailler avec des sentiments ambigus. D’un côté il m’encourage fortement car il veut me pousser loin du théâtre, sachant très bien que je ne peux pas tout dire à la scène. De l’autre, il aurait sans doute préféré me voir écrire un roman différent.
    Il fait partie de ces êtres assez insensibles aux questions religieuses et qui ne sont guère tenaillés par la métaphysique… Je crois qu’il endure ce livre en attendant les prochains.
     
    Ce travail est censé me transformer en romancier. Depuis mon premier roman, La Secte des Egoïstes, qui demeure une sotie, un conte philosophique ironique plutôt qu’un roman au sens traditionnel, je me suis consacré au théâtre, sans aucun doute ma forme d’expression spontanée.
    D’où viennent les complexes qui m’ont retenu ces sept dernières années lorsque j’abordais le roman ?
    Pour cette prose-là, je trouve difficile d’écrire « juste ». En dehors des chefs-d’œuvre que l’histoire a consacrés, la plupart des romans qui me passent entre les mains me semblent arbitraires. Pourquoi celui-ci fait-il quatre cents pages alors que son sujet et l’inspiration qu’il donne à son auteur n’en méritent que vingt ? Et pourquoi celui-là n’offre-t-il que cent pages alors qu’il en nécessitait trois cents ? J’ai l’impression que beaucoup de romanciers – ou prétendus tels – ne savent pas régler le sablier de l’écriture :
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