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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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quitter l’enfance. Démêlant les fils des songes et de la réalité, je découvrais qu’il y avait d’un côté le rêve, où je planais mieux qu’un rapace, et d’un autre côté le monde vrai, dur comme ces pierres sur lesquelles j’avais failli m’écraser.
    J’avais aussi entrevu que je pouvais mourir. Moi ! Yéchoua ! D’ordinaire, la mort ne me concernait pas. Oh, bien sûr, çà et là, je croisais des cadavres à la cuisine et dans les cours des fermes, mais quoi ? C’étaient des animaux ! De temps en temps, on m’annonçait qu’une tante, qu’un oncle venaient de décéder, mais quoi ? Ils étaient des vieillards ! Ce que moi je n’étais et ne serais jamais. Ni bête, ni vieillard. Non, moi j’étais parti pour vivre toujours… Moi, je m’estimais impérissable, je ne trouvais la pourriture nulle part en moi… Je n’avais rien à voir avec la mort. Et pourtant, là, chat perché sur mon rocher, j’avais senti son souffle humide sur ma nuque. Dans les mois qui suivirent, j’ouvris des yeux que j’aurais préféré garder fermés. Non, je n’avais pas tous les pouvoirs. Non, je ne savais pas tout. Non, je ne m’avérais pas immortel. En un mot : je n’étais pas Dieu.
    Car je crois que, comme tous les enfants, je m’étais d’abord confondu avec Dieu. Jusqu’à sept ans, j’avais ignoré la résistance du monde. Je m’étais senti roi, tout-puissant, tout-connaissant et éternel… Se prendre pour Dieu, le penchant le plus ordinaire des enfants heureux.
    Grandir fut rapetisser. Grandir fut une chute. Je n’appris la condition d’adulte que par les blessures, les violences, les compromis et les désillusions. L’univers se désenchanta. Qu’est-ce qu’un homme ? Simplement quelqu’un-qui-ne-peut-pas… Qui-ne-peut-pas tout savoir. Qui-ne-peut-pas tout faire. Qui-ne-peut-pas ne pas mourir. La connaissance de mes limites avait fêlé l’œuf de mon enfance : à sept ans, je cessai définitivement d’être Dieu.
     
    Le jardin demeure paisible ce soir, banal comme une nuit de printemps. Les grillons chantent l’amour. Les disciples dorment. Les peurs que je ressens n’ont pas d’échos dans l’air.
    Peut-être l’escorte n’a-t-elle pas encore quitté Jérusalem ? Peut-être Yehoûdâh a-t-il eu peur ? Va, Yehoûdâh, dénonce-moi ! Confirme-leur que je suis un imposteur, que je me prends pour le Messie, que je veux leur arracher le pouvoir. Charge-moi. Appuie leurs pires soupçons. Vite Yehoûdâh, vite. Et qu’ils m’arrêtent et m’exécutent, vite.
    Comment se font les choses ?
    Comment en suis-je arrivé là ?
     
    Ce sont les autres qui m’ont annoncé mon destin ; ils savaient lire le parchemin que j’étais et qui, pour moi, restait indéchiffrable. Oui, toujours, ce sont les autres qui m’ont diagnostiqué, comme on repère une maladie.
    — Que veux-tu faire plus tard ?
    Un jour, mon père vint me chercher sous l’établi, dans les blonds copeaux, là où, sous un rayon d’or, je rêvassais en laissant couler la sciure entre mes doigts.
    — Que veux-tu faire plus tard ?
    — Je ne sais pas… Comme toi ! Menuisier ?
    — Et si tu devenais rabbi ?
    Je le regardai sans comprendre. Rabbi ? Le rabbi de notre village, rabbi Isaac, m’apparaissait si vieux, si branlant avec sa barbe moisie, sans doute plus ancienne que lui, que je ne pouvais m’imaginer ainsi. Et puis, il me semblait que l’on ne devenait pas rabbi ; on l’était dès le départ ; on naissait rabbi. Moi, je n’étais né que Yéchoua, Yéchoua ben Yoseph, Yéchoua de Nazareth, c’est-à-dire bon à pas grand-chose.
    — Réfléchis bien.
    Et mon père reprit le rabot pour dégrossir une planche. J’étais d’autant plus étonné par sa proposition qu’à l’école biblique les journées ne se passaient pas sans heurts. Si Mochèh, Ram, Kèsed n’exigeaient jamais d’explications et retenaient sans broncher ce que l’on nous donnait à apprendre, on m’appelait « Yéchoua aux mille questions ». Tout déclenchait mes interrogations. Pourquoi ne pas travailler le jour du Sabbat ? Pourquoi ne pas manger du porc ? Pourquoi Dieu punit-il au lieu de pardonner ? Comme les réponses ne me satisfaisaient pas, notre instructeur se retranchait derrière un « C’est la loi » définitif. J’insistais alors : « Qu’est-ce qui justifie la Loi ? Qu’est-ce qui fonde la tradition ? » Je demandais tant d’éclaircissements, que, parfois, on
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