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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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sévèrement :
    — Sais-tu qu’on a lapidé des hommes pour ce que tu fais ?
    — Quand vas-tu donc te marier ? ajoutait ma mère. Regarde Mochèh, Ram et Kèsed : ils ont tous des enfants déjà. Et tes plus jeunes frères m’ont déjà rendue grand-mère. Qu’est-ce que tu attends ?
    Je n’attendais rien, je n’y pensais même pas.
    — Allez, mon Yéchoua, hâte-toi de te marier. Il serait temps de te montrer un peu plus sérieux, maintenant.
    « Sérieux ! » Alors, elle aussi, elle le croyait ! Comme tout le village, ma mère s’était mis dans la tête que j’étais un tombeur de femmes !
    Le séducteur de Nazareth… Sous prétexte qu’on me voyait passer des heures à discuter ou me promener avec telle ou telle, on en avait conclu que j’avais dix liaisons. Il est vrai que j’aimais la compagnie des femmes et qu’elles aimaient la mienne. Mais nous ne disparaissions pas dans les buissons ou dans les granges pour nous frotter l’un contre l’autre, nous discutions. Rien d’autre. Nous discutions. Les femmes parlent plus vrai, plus juste : elles ont la bouche près du cœur.
    Mochèh m’accueillait en ricanant.
    — Tu ne vas pas me faire croire que vous ne faites rien ensemble ?
    — Si. Nous parlons de la vie, de nos péchés.
    — Oui, oui… Quand un homme parle à une femme de ses péchés, c’est généralement pour en rajouter un.
    Ma mère s’inquiétait davantage.
    — Quand vas-tu te marier ? Tu ne vas pas finir vieux garçon, tout de même ? Tu ne veux pas d’enfants ?
    Non, en vérité, je ne rêvais pas d’enfants, je ne me sentais pas mûr pour engendrer, j’avais l’impression de demeurer un fils. Comment aurais-je pu prendre la main d’un enfant ? Pour l’emmener où ? Et lui dire quoi ?
    Mais la pression s’exerçait continuellement, de la part de ma mère, mes sœurs, mes frères : pourquoi ne te maries-tu pas ?
    Alors il y eut Rébecca.
    Le sourire de Rébecca fendit l’air et vint se ficher en moi, me laissant paralysé, le cou en feu, la langue sèche. Elle s’empara de moi en une seconde. À quoi cela tenait-il ? Au noir bleuté de sa lourde natte ? À la blancheur du teint, tendre comme le cœur d’un liseron ? Aux yeux paisibles ? À sa démarche qui semblait regretter la danse ? À son corps svelte et souple qui jouait à apparaître puis disparaître sous sa tunique ? L’évidence s’imposa : Rébecca était plus femme que toutes les femmes, elle les résumait toutes, elle les dépassait toutes, c’était elle.
    Je n’eus même pas besoin de faire ma cour. Mon attitude parla pour moi… Je crois qu’elle m’aima, elle aussi, au premier regard que je lui rendis. D’emblée, nous nous étions conquis.
    Nos familles s’en rendirent vite compte et nous encouragèrent. Rébecca n’habitait pas Nazareth mais Naïn, dans une riche famille d’armuriers. Maman versa une larme de joie lorsqu’elle me vit consacrer mes économies à l’achat d’une broche en or : enfin son fils formulait les mêmes souhaits que tout le monde.
    Un soir, pour faire ma demande, j’emmenai Rébecca dans une auberge au bord de l’eau. Là, sur une terrasse éclairée par des chandelles, à la fraîcheur des tilleuls, les tables attendaient les amoureux.
    Se doutant de ce que j’allais lui proposer, Rébecca s’était parée plus que de coutume. Des bijoux encadraient son visage, comme de petites lampes destinées à l’éclairer elle et elle seule.
    — Charité, s’il vous plaît !
    Un vieillard et son enfant en guenilles tendaient leurs mains sales et cornées vers nous.
    — Charité, s’il vous plaît !
    Je poussai un soupir d’agacement.
    — Repassez plus tard.
    Le vieillard s’éloigna avec l’enfant.
    On commença à nous servir. La chère était somptueuse, les poissons et les viandes agrémentés de mille détails qui chatouillaient le palais.
    Le vieillard et l’enfant, assis au bord de la rivière, nous regardaient manger avec envie, guettant un signe pour nous rejoindre. Leurs yeux humiliés m’agaçaient tant que je me raidis le cou afin de ne plus me tourner dans leur direction.
    Rébecca, le vin aidant, s’épanouissait, riait à tout propos. Moi aussi, entraîné dans cette griserie amoureuse, j’avais l’impression que nous constituions désormais le centre du monde, que jamais la terre n’avait porté un couple plus jeune, plus vif, plus beau que nous deux ce soir-là.
    Au dessert, j’offris la broche
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