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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Confession d’un condamné à mort le soir de son arrestation
    Dans quelques heures, ils vont venir me chercher.
    Déjà ils se préparent.
    Les soldats nettoient leurs armes. Des messagers s’éparpillent dans les rues noires pour convoquer le tribunal. Le menuisier caresse la croix sur laquelle je vais sans doute saigner demain. Les bouches chuchotent, tout Jérusalem sait déjà que je vais être arrêté.
    Ils croiront me surprendre… je les attends. Ils cherchent un accusé, ils trouveront un complice.
    Mon Dieu, faites qu’ils ne soient pas modérés ! Rendez-les sots, violents, expéditifs. Épargnez-moi la fatigue de les exciter contre moi ! Qu’ils me tuent ! Vite ! Et proprement !
    Comment tout cela est-il arrivé ?
    J’aurais pu être ailleurs, ce soir, à festoyer dans une auberge à puces, au milieu des pèlerins, comme tout Juif à la Pâque. Je serais reparti dimanche à Nazareth avec l’allégresse tranquille du devoir accompli. Dans une maison que je n’ai pas, m’auraient peut-être attendu une femme que je n’ai pas non plus, et derrière la porte, ravies de revoir leur père, des petites têtes bouclées et souriantes. Voici à quoi ce rêve m’a réduit : attendre en ce jardin une mort que je redoute.
    Comment cela commença-t-il ? Y a-t-il un début au destin ?
    J’ai vécu une enfance rêveuse. À Nazareth, chaque soir, je m’envolais au-dessus des collines et des champs. Lorsque tout le monde dormait, je passais la porte silencieuse, j’ouvrais les bras, je prenais mon élan et mon corps s’élevait. Je me souviens très bien de la résistance de l’air sous mes coudes, un air plus compact, plus solide et consistant que l’eau, un air embaumé de l’odeur humide des jasmins qui me portait sans un souffle de vent. Souvent, par paresse, je traînais ma paillasse jusqu’au seuil et je planais, étendu sur elle, au-dessus de la campagne grise. Les ânes dressaient la tête pour regarder, de leurs beaux yeux noirs de filles, mon navire passer au milieu des étoiles.
    Et puis il y eut cette partie de chat perché. Après, plus rien ne fut jamais semblable.
    À la sortie de l’école, nous ne pensions qu’à faire courir nos jambes. Nous étions quatre inséparables, Mochèh, Ram, Kèsed et moi. Dans la carrière de Gzeth, nous avons commencé à jouer. Éprouvant comme jamais l’envie de gagner, je me mis à grimper sur une immense pointe rocheuse, les prises s’enchaînaient, je ne respirais même plus, je montais, je montais et je me retrouvai sur la plate-forme, seize coudées au-dessus du sol. En bas, mes camarades n’étaient plus que des calottes de cheveux avec des petits pieds autour. Ils ne me trouvaient pas. Devenu inaccessible, je ne participais plus au jeu. Au bout de quelques minutes, je poussai un grand cri pour signaler ma présence. Ils se cassèrent le cou, m’aperçurent et applaudirent.
    — Bravo Yéchoua ! Bravo !
    Jamais ils ne m’auraient cru capable d’aller si haut. J’étais heureux. Je savourais ma victoire.
    Puis Kèsed cria :
    — Maintenant viens avec nous ! On s’amuse mieux à quatre.
    Je me levai pour redescendre et là, la peur me saisit. Je ne voyais absolument pas comment revenir… Accroupi, je palpai le rocher par lequel j’étais venu : lisse. Je suais. Comment faire ?
    Soudain la solution m’apparut : Il suffisait que je vole. Comme chaque nuit.
    Je m’approchai du bord, les bras écartés… L’air n’était pas dense, liquide sous mes bras, comme dans mon souvenir… Je ne me sentais plus porté, au contraire, c’étaient mes épaules, mes seules épaules, qui soutenaient avec peine le poids de mes bras tendus… Du bronze… D’ordinaire, il suffisait que je soulève légèrement les talons pour décoller mais là, mes pieds, rebelles, restaient au sol… Pourquoi étais-je subitement si lourd ?
    Le doute fondit sur moi, me plombant les épaules. Avais-je jamais volé ? N’était-ce pas un rêve, un pur rêve ? Tout se brouilla.
    Je me réveillai sur le dos de mon père, Yoseph, que Mochèh était allé chercher en hâte. J’avais perdu conscience. Mon père descendait le rocher, sachant trouver les prises imperceptibles.
    En bas, il m’embrassa. Mon père était ainsi : tout autre m’aurait grondé, lui m’embrassait.
    — Au moins, tu as appris quelque chose aujourd’hui.
    Je lui souris mais je ne saisis pas tout de suite ce que j’avais appris.
    Je le sais maintenant : je venais de
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