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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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mon avis, il est trop tard. On ne peut plus m’arrêter. Je vitupère sans fin. Je ne publierai pas ce livre sans ses deux parties ! Je m’y refuse ! Il deviendrait anecdotique ! Les deux mystères du christianisme sont l’Incarnation et la Résurrection, soit mes deux parties ! Plutôt crever et arrêter d’écrire ! Voilà qu’au milieu de La Closerie des Lilas j’ai les tempes qui brûlent, les veines du cou prêtes à sauter, je me sens à ce point en détresse que j’aimerais être cloué sur-le-champ par une crise cardiaque. Certes, je me rends compte que je suis emporté dans une scène qu’on pourrait qualifier d’« hystérique » mais me voilà incapable de m’arrêter. Je ne cesse que parce que, comme les rares fois où je me mets en colère, ma voix finit par me lâcher et me voilà aphone. Richard Ducousset saisit cette opportunité pour me rassurer et surtout me renvoyer chez moi.
    Ce soir, j’ai honte de lui avoir fait passer un aussi mauvais moment, même si, sur le fond, je demeure persuadé d’avoir raison.
    D’ailleurs, comment accepter que des lecteurs qui n’y ont jamais réfléchi que le temps de rédiger une fiche puissent reconsidérer un travail sur lequel je réfléchis, moi, depuis dix ans…
    Ce livre m’apporte une belle rencontre : celle de Pierre S. chez Albin Michel. J’aimerais le rebaptiser « l’inespéré » : je m’étais en effet résolu à penser qu’il était impossible, dans l’édition moderne, de rencontrer un homme qui ait lu autre chose que ce qui a été publié ces trente dernières années. Pierre S. a lu Bernanos, Mauriac, Morand, Gide, Green, les classiques de notre siècle comme ceux des siècles antérieurs. Avec lui, je peux parler de Shakespeare ou de Racine. Si je chantonne les premières paroles d’un air de Mozart, il entonne les suivantes !
    J’ai demandé qu’il soit désormais mon directeur littéraire.
    Pierre S. relit mon texte et traque ce qui pourrait demeurer, à mon insu, d’images trop pieuses, d’expressions trop pastorales, ce qui pourrait ressembler à la foi chrétienne telle qu’elle s’exprime d’ordinaire.
    Je ne sais s’il le fait parce qu’il ne partage pas cette foi ou parce qu’il a compris ce que devait être ce livre. Sans doute la deuxième solution.
    Épreuves rendues à l’imprimerie.
     
    Comme toujours, avec fidélité et rapidité, ma cousine Christine, la plus redoutable traqueuse de fautes qui existe sur cette terre, m’a aidé à corriger les erreurs.
    Maintenant il va falloir traverser l’été en attendant la sortie du livre.
    De toute façon, je ne suis plus bon à rien car aussi fatigué qu’une femme qui relève de couches…
     
    Mes premières discussions sur Dieu, je les ai eues avec mon père. Pour cette raison, j’ai décidé de lui dédier mon livre.
    Quel âge avais-je ? Sept ans, huit ans ? Quoique je m’en souvienne confusément, il m’a fait sentir que nos vies se déroulaient sur un fond d’épais mystère. Je crois qu’il se questionnait avec moi plutôt qu’il ne me fournissait ses réponses.
    S’il ne me l’a pas clairement dit pendant mon enfance, j’ai compris plus tard qu’il ne croyait pas en Dieu et qu’il tenait le christianisme à distance, le considérant avec un mélange de respect et de méfiance. Son antichristianisme est réel mais son athéisme demeure inquiet, tendu, douloureux : il aimerait avoir la foi. Et justement parce qu’il souhaite croire, il méprise ce souhait. Cercle vicieux et giration sans fin : son désir même lui rend suspect l’objet de son désir.
    Il lui est d’autant plus douloureux de ne pas croire que sa mère Marie, ma chère grand-mère alsacienne, était une croyante profonde, catholique pratiquante assidue, tout en douceur et en fermeté, seule personne du côté Schmitt à fréquenter l’église le dimanche. Mon père doit culpabiliser en imaginant qu’elle a souffert, même si elle n’en a jamais pipé mot, de ne pas avoir transmis sa foi à ses quatre enfants. Mais comment cela se passe-t-il, la foi ? Personne ne le sait. Il n’est pas plus coupable de ne pas l’avoir reçue qu’elle de ne pas l’avoir communiquée.
    À mon tour de lui transmettre mes interrogations, mes espoirs, mes troubles. Je vais inverser la situation ordinaire de transmission : le fils croyant adressera sa foi à son père incroyant.
    Mon père dévore avec passion mes deux récits. Comme prévu, il ne commente pas la
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