L'Evangile selon Pilate
confirmation de son destin.
Judas…
Je vais beaucoup surprendre.
Même si je ne suis pas le premier écrivain à reconsidérer son rôle, je crois aller plus loin qu’on n’est jamais allé…
Je me suis offert ce matin un mensonge dont je me régale encore.
Richard Ducousset, mon éditeur, m’appelle de France pour une de ces conversations fulgurantes et fantaisistes dont il a le secret, où les propos désordonnés, gracieux, capricants, ironiques se succèdent et laissent s’enlacer moqueries et douceurs, où l’on ne sait plus très bien de quoi on parle mais où l’on éprouve une seule certitude, celle d’éprouver du plaisir à échanger.
Immanquablement, chasseur qui fait semblant de musarder, il en vient au point précis où il comptait arriver depuis le début.
— Eh bien, ce livre ?
— Il est fini. Mais je le relis avec soin.
— Ne croyez-vous pas que vous péchez par excès de scrupule ? La première version que j’ai eue entre les mains il y a plusieurs années me semblait déjà bonne.
— Celle-ci sera meilleure.
— Laissez-m’en juge. J’attends depuis sept ans.
— Moi aussi. Croyez bien que je ne rêve que d’une chose, c’est de le voir publié.
— Quand comptez-vous me le remettre ?
Sans me troubler, j’improvise et réponds :
— Le 28 mars, le jour de mon anniversaire.
— Très bien. En attendant, je vous inscris sur le programme de la rentrée.
En raccrochant, j’étais euphorique. On espérait mon livre ! Mieux : on l’annonçait pour la rentrée de septembre.
Grisé, j’en ai oublié ce que je constate ce soir : mon livre n’est pas fini ; loin de le relire, je le rédige ; je commence à me sentir fatigué ; et je suis d’ores et déjà certain de ne pas l’avoir achevé fin mars.
Une seule solution pour avancer : ne pas penser à la marche du lendemain. Me contenter de celle du jour.
Je refuse de calculer ce qui me reste à écrire : chaque après-midi, j’écris.
Mais combien de temps tiendrai-je ?
Je n’ai jamais apprécié le rôle que l’imaginaire chrétien populaire prête à Judas. Autant les reniements de Pierre me parlent intimement, autant Judas réduit au rôle du traître cupide me choque. Comment un homme qui a tout abandonné pour suivre Jésus, qui le voit continuellement grandir en spiritualité en même temps qu’il élargit son audience, comment un homme élu parmi les douze apôtres, les douze proches, les douze intimes, comment cet amoureux de Jésus pourrait-il stopper son ascension en plein vol ? Comment et surtout : pourquoi ?
On a répondu très vite : « Pour trente deniers », posant là un des fondements de l’antisémitisme chrétien, cette horrible et tenace idée que le Juif est prêt à tout vendre pour un peu d’or, l’antisémite oubliant alors avec allégresse que Jésus, lui aussi, est juif.
Trente deniers, vraiment ? De toute façon, Judas possède déjà l’argent puisque, dans le groupe de ceux qui suivent Jésus sur les routes, il détient la fonction de trésorier. Alors, trente deniers de plus… S’il est mû par le seul intérêt, pourquoi a-t-il rejoint un mouvement qui justement prône la pauvreté ? De plus, si Judas est si cupide, quelle raison a-t-il de se pendre le lendemain ? Le lendemain, il devrait ouvrir une banque, sûrement pas se pendre ! Son suicide contredit sa prétendue trahison.
Si encore Judas se tuait après la résurrection de Christ, je comprendrais qu’il soit dévasté par le remords… car il aurait provoqué la mort du Messie. Mais avant ? Il se tuerait par remords de voir son ami arrêté et crucifié alors qu’il savait très bien que sa dénonciation conduirait à cette situation ? Voilà un traître qui manque de conséquence…
Au XXe siècle, plusieurs auteurs ont remarqué que l’intervention de Judas était nécessaire à l’accomplissement de Jésus, certains allant jusqu’à rendre Judas en partie conscient du rôle de méchant qu’il doit jouer pour que le bien triomphe.
Judas nécessaire aux Écritures, donc Judas justifié, sinon pardonné.
Je propose d’aller encore plus loin : Judas fait le sacrifice volontaire de sa réputation parce qu’il est le fameux « disciple préféré » toujours évoqué et jamais nommé, le disciple qui croit tellement à la messianité de Jésus de Nazareth qu’il est prêt à prendre tous les risques pour lui.
Ainsi ai-je aujourd’hui récrit la Cène.
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