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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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la méditation, penser à Lucia, à père, au Palazzo romain dont les fenêtres ouvraient sur les orangers et les palmiers de la cour intérieure, se souvenir aussi de cette impression d’inutilité qu’il avait ressentie en demeurant trop longtemps au Vatican, ces querelles juridiques auxquelles il avait été mêlé, ces notes au gouvernement français qu’il avait rédigées, cette diplomatie nécessaire où l’Église s’engluait, État parmi les États. Il avait préparé son départ, choisi cette mission, fui Rome dès le lendemain du mariage de Lucia et du savant français, rejoint les terres hautes où les missionnaires des temps de la conquête avaient avec brutalité extirpé les cultes anciens, détruit les hommes différents au nom d’une foi fraternelle. Revenir aux hommes, faire oublier ce passé de violence, donner Dieu tel qu’il est. Cela valait ce souffle court, cette difficulté permanente à exister et Giulio devait en convenir, il aimait cette sensation douloureuse qui était aussi un rappel de la précarité de la vie terrestre, une obsédante et physique présence de la mort au travail dans le corps de l’homme.
    Loin – ainsi, vers l’ouest et le sud, sur un autre continent, Giulio Bertolini ignorait que Jean Cordelier, l’indifférent à Dieu, le physicien sans croyance, qui disait seulement « rien pour moi n’existe si je ne peux le mesurer », venait de prononcer ces mots « chaque enfant doit compter » et cette même phrase, le père Bertolini la murmurait quand il découvrait au pied du feu de bois, dans la pièce de l’une des maisons indiennes, la femme enceinte qu’il venait visiter quelquefois, mari mort depuis sept mois au fond d’une galerie de mine, car le cuivre est comme l’or, plus précieux que le sang. Femme couchée, le nouveau-né près d’elle enveloppé dans une couverture bariolée, et elle, la mère, morte aussi, deux Indiennes assises, à son chevet.
    Une angoisse plus oppressante encore, ce silence, ces visages à la fixité de pierre, le feu de bois qui prenait le peu de vie que contenait l’air, et cette petite fille de quelques heures devant laquelle Giulio Bertolini s’agenouillait, « Dolorès, Dolorès », répétait-il écartant la couverture de laine rugueuse. Il regardait les deux femmes, statuaire massive de part et d’autre de la morte et de l’enfant vive. Il interrogea. Mais l’avenir était une idée d’Europe, que pouvaient-elles savoir et prévoir les deux Indiennes, de l’avenir de cette enfant que Giulio Bertolini prenait dans ses bras et commençait à bercer : « Dolorès, Dolorès. »
    Il l’avait nommée. Celui qui désigne donne vie. Il est le père. Il savait que chaque jour des nouveau-nés mouraient de faim ou de misère à La Paz et sur l’Altiplano. Mais la mère les gardait avec elle parfois plusieurs jours, les serrant contre elle comme s’ils avaient continué de vivre, attendant que le père rentre de la mine. Il fabriquait lui-même le petit cercueil de bois blanc et s’en allait seul, la boîte sous le bras, vers le cimetière, et s’il était las de la porter ainsi il marchait dans les rues, la tenant à l’horizontale, posée sur la tête.
    « Dolorès, Dolorès », répétait encore Giulio Bertolini.
    Il essaya d’expliquer. L’une des Indiennes, la plus âgée, la pierre de son visage creusée de rainures profondes, leva la main gauche à la hauteur du chapeau melon qu’elle avait enfoncé jusqu’aux sourcils. Elle ne regarda par Giulio Bertolini, mais il comprit que l’Indienne disait d’un geste : « Fais pour le mieux si tu veux, toi qui peux. » Giulio se signa, portant Dolorès à la saignée du bras gauche. Il lui semblait que depuis qu’il l’avait prise contre lui, il respirait mieux malgré la fumée qui envahissait la pièce. Il avait hâte de sortir, craignant que l’une des deux femmes ne se ravise, hurle tout à coup, ou plus menaçante encore, ne s’agrippe à lui, muette et obstinée. Il s’inclina, expliqua qu’il allait confier Dolorès au couvent de Sainte-Thérèse, qu’il lui donnerait son nom, pour qu’on puisse la retrouver si des parents venaient, si…
    Il sortit à reculons, continuant de parler sans que les deux Indiennes n’eussent bougé, la plus vieille gardant la main levée.
    Dehors la luminosité brillante de la nuit.
    Sans doute le ciel, la nuit de la naissance en Galilée, avait-il cette limpidité absolue.
    Et ce 1 er   janvier, Giulio
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