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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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dernière nuit dans la chambre du haut, quand Rudolf avait saisi le poignet de son fils, essayant de parler. Ils avaient cru entendre « encore, encore ». Un seul mot qui leur serrait le cœur au moment où ils entraient dans la chambre de Greta, elle, toute pâle, ses cheveux blonds épars sur le coussin, les bras écartés, les mains ouvertes, lasse. Le docteur Khuner entraînait Ludwig vers le fond de la chambre, l’obligeait à se pencher, à voir.
    — Il est lourd, disait-il, un gaillard.
    Ludwig regardait son fils puis s’approchait du lit, embrassait la paume de Greta qui tressaillait, et de l’autre main elle prenait son mari par la nuque, l’attirait vers elle, se soulevant, restant ainsi un instant suspendue.
    — Karl, murmurait-elle, il s’appellera Karl. Où est Inge ?
    Ludwig sortit, vit sa fille qui se tenait recroquevillée, assise sur l’une des dernières marches de l’escalier, Inge était pieds nus, elle paraissait prier, les doigts entrelacés, serrant ses genoux. Ludwig monta, la souleva. Elle se pelotonnait contre son père, apeurée, glissant le visage contre son cou.
    — Il est beau Karl, ton frère est si beau, murmurait Ludwig, tu vas le voir.
    Mais elle le serrait encore plus, tremblant même. Il traversa la chambre en la portant et ce n’est qu’au-dessus du berceau qu’elle se détacha de lui, glissant sur le sol, s’agenouillant, fascinée.
    — Il faut que tu remontes maintenant, dit Ludwig au bout de quelques minutes.
    Mais elle secouait la tête, tenant le berceau à deux mains, les yeux écarquillés et il la laissa là, quittant la chambre, retrouvant le docteur Khuner qui disait :
    — Tu m’as donné une grande joie, Ludwig.
    — Vous docteur, vous…
    Il aidait Khuner à s’envelopper dans sa cape, il serrait la main du docteur Larich.
    — Tout est parfait, disait celui-ci.
    Il les accompagnait dans le jardin, puis restait là, à regarder les arbres, la neige qui parfois s’en détachait, tombant lourdement, ployant les branches inférieures. Tout à coup Ludwig Menninger eut froid, les gouttes s’insinuaient sous le col de sa chemise. Il rentra lentement, écoutant la cloche de la cathédrale de Munich qui annonçait la première messe. Il frissonna à nouveau. Son père chaque matin rappelait au moment où la cloche sonnait. « Ludwig. » Il laissait la porte ouverte, s’éloignait dans le couloir, un temps d’arrêt avant d’entrer dans son bureau, une nouvelle fois, plus fort : « Ludwig. » Cela durant des années, alors que Ludwig suivait déjà les cours au Polytechnicum de Munich, et quand il revint de son premier séjour à Saint-Pétersbourg, le rite continua. Mais Rudolf Menninger s’appuyait à une canne et le temps était long entre le premier « Ludwig » et le second. Ludwig écoutait le pas lourd de son père accompagné du coup sec de la canne sur le sol. Il était déjà assis sur le bord du lit quand son père l’appelait une deuxième fois.
    Un matin, la cloche de la cathédrale seule retentit.
    Ludwig, cette année-là, repartit pour Saint-Pétersbourg laissant la maison vide. Mais peut-être fallait-il que son père mourût pour qu’il devînt vraiment à son tour le père, celui d’Inge et maintenant de Karl.
    Ludwig ferma la porte derrière lui avec précaution. Un miroir au cadre doré faisait face à l’entrée. Ludwig s’y détailla : ingénieur en chef Menninger, les cheveux déjà gris, cette ride qui partageait son front, ces lunettes, ce cou court que serrait le col cassé. Il eut l’impression que son père, le professeur Rudolf Menninger, le regardait et il baissa les yeux.
    L’air froid qui à Varsovie et à Saint-Pétersbourg obligeait Elie Berelovitz et Boris Spasskaief à marcher courbés, qui à Munich étendait au-dessus de la ville l’étoupe plombée qui rendait plus grave le carillon de la cathédrale, cet air froid qui recouvrait l’Europe heurtait sur les bords de la Méditerranée des masses nuageuses tièdes venues du sud. L’affrontement au-dessus des dernières hauteurs alpines avait fait se lever la bourrasque dès le matin. Elle secouait les cyprès et les oliviers les plus grêles, faisait trembler les tuiles et les grêlons se mêlaient à la neige, frappant les vitres du mas Cordelier. Les volets battaient au deuxième étage et Jean Cordelier quittait la chambre de Lucia, courant dans les couloirs, glissait sur les tomettes rouge sombre, s’arrêtait, essayant de repérer
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