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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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parlait russe rugueusement, avec la gorge et les dents – vous-même, Madame Spasskaief, voudriez-vous que votre enfant naisse ailleurs qu’en Russie ? Je veux que le mien naisse en Allemagne.
    — Croyez-vous qu’il sera davantage allemand pour cela ? Que mon enfant naisse ici ou…
    Evguenia s’interrompait, portait la main à son ventre, son visage cessait d’être mobile.
    — Peut-être avez-vous raison, disait-elle, tout doit les influencer, même notre voix, en ce moment.
    Boris Spasskaief s’était approché, avait posé la main sur l’épaule de sa femme, le pouce contre le cou, là où naissent les premières mèches.
    — Savez-vous qu’elle s’en va, disait-il à Menninger, elle m’abandonne, je ne verrai pas naître mon enfant.
    Evguenia tournait brusquement la tête, les joues empourprées.
    — Si tu dis cela…
    Spasskaief se baissait, lui caressait le cou.
    — Tu dois, murmurait-il, tu dois, Evguenia.
    Elle quittait Saint-Pétersbourg, ce froid gris qui monte de la Neva, envahit peu à peu la ville, recouvrant les quais, collant aux façades, elle s’installait au sud dans la villa de son père, le docteur Loubanski, sur les collines qui dominent Odessa. Elle reviendrait au printemps, quand la débâcle a commencé, que le soleil est haut déjà derrière Cronstadt, et elle aurait l’enfant avec elle.
    Le télégramme au bout des doigts encore gourds, Spasskaief imaginait Evguenia dans la chambre qui donne sur la terrasse de la villa Loubanski, un châle sur les épaules. Il hésitait à lire. Machkine-le-vieux se tenait à quelques pas, le dos au poêle comme si la chaleur des fours lui manquait.
    — Fille ou garçon, demanda Spasskaief, tu paries pour quoi ?
    — Vous voulez sûrement une fille, Monsieur l’ingénieur, dit Machkine.
    Les petits mots de vie devant les yeux de Spasskaief qui avait enfin lu.
    — Une fille, non ? reprit Machkine. Un homme amoureux a toujours une fille, Monsieur l’ingénieur.
    Spasskaief lui donna une bourrade.
    — Tu parles comme un sorcier de village, dit Spasskaief. Sais-tu seulement que le XX e siècle commence et que ma fille…
    Anna Spasskaia, née à Odessa alors qu’à Saint-Pétersbourg tombait la neige. Le siècle coulait devant elle, large. Spasskaief murmura :
    Neva des aurores blanches
    Fleuve majeur
    Evguenia, le soir, quand ils s’asseyaient au salon avec, pour seuls bruits, le tintement des verres que la servante, Macha, portait à la cuisine ou bien le crépitement d’une écorce que la flamme faisait éclater, Evguenia lisait à voix basse. Spasskaief fermait les yeux, ne voulait pas connaître l’auteur du poème. Evguenia ? La voix suffisait.
    Il remit sa chapka, ouvrit d’un seul coup la porte et le vent chargé de neige le frappa de plein fouet.
    — Chauffe-toi bien, Machkine, dit-il avant de s’élancer.
    Il claqua la porte et sûr qu’on ne l’entendrait pas, heureux de retrouver le dernier vers, il cria :
    Neva des aurores blanches
    Fleuve majeur
    Fille des évidences.
    Prenant la longue rue, Spasskaief se courba, la bouche pleine de vent.
    Le vent, à Munich, avait brusquement cessé et la neige tombait droite et drue en flocons lourds qui liaient la terre et le ciel d’une épaisseur ouatée de silence. Ludwig Menninger demeura la tête nue dans le jardin qui entourait la maison familiale et il respira profondément, le visage levé, sentant les flocons fondre sur son front et ses joues et quelques gouttes glacées glisser le long de son cou. Ce premier jour du siècle était celui de l’harmonie et il se souvint de ses soirées d’enfance quand le père, la tête oscillant régulièrement, accompagnait au violoncelle le docteur Khuner, l’ami Khuner, penché sur le piano. Père mort, Khuner si vieux qu’il avait d’abord refusé d’accoucher Greta, conseillant son remplaçant, le docteur Larich, mais Ludwig Menninger avait insisté : « Vous, docteur Khuner, je veux que ce soit vous », et Larich avait accepté de n’être que l’assistant, allant et venant dans le couloir avec Menninger. Khuner avait ouvert la porte de la chambre, rajeuni, les cheveux blancs collés par la sueur sur le front, le gilet déboutonné, la montre se balançant hors du gousset, au bout de la chaîne d’or.
    — Un fils, Ludwig, un fils, disait-il.
    Il riait embrassant Ludwig.
    — Si ton père… murmurait-il.
    Ils restaient l’un contre l’autre, se souvenant de Rudolf Menninger, du violoncelle, de la
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