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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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régulière entre San Francisco et Shanghai.
    Il n’y eut pas de registre d’état civil pour Lee Lou Ching, le fils de Wang, un paysan du village de Wushi dans la province de Shanghai, et de Ling sa femme. Pourtant, Lee naquit le même jour qu’Allen Roy Gallway, mais à l’autre extrémité de l’Océan, là où les vagues sont teintées par la terre ocre que charrie, des montagnes du Tibet jusqu’à son embouchure, le Yang-Tsé-kiang.
    Quand Lee poussa le cri de vie, des soldats avaient rassemblé sur la place les hommes du village. Un officier, un long sabre courbé à la main, avait fait agenouiller deux jeunes paysans. Leurs mains étaient liées dans le dos, leurs chemises déchirées et Wang, sans que son visage tressaillît, imaginait déjà le geste de l’officier, le sifflement de la lame, le bruit mat sur la nuque, le cri de l’autre, du vivant, qui voyait la tête tranchée de son camarade rouler sur le sol et le sable devenu brun.
    — Ces bandits, cria l’officier, ils volent, ils complotent.
    Et la scène se déroula comme Wang l’avait prévue. Puis l’officier passa parmi les hommes du village. Il était petit, corpulent, la vareuse tachée par la graisse des soupers. Il touchait de la pointe de son sabre les plus vigoureux des hommes. Il les faisait aligner et des soldats les attachaient ensemble par le cou. Wang savait qu’il fallait se taire, ne chercher à s’enfuir qu’au moment où la nuit serait tombée. Il lui sembla entendre, comme la colonne passait près de l’étang aux lotus, non loin de sa maison, le cri d’un enfant et il crut reconnaître celui d’un garçon. Alors une chanson, celle du printemps, que les paysans scandent en avançant courbés dans le champ, lui vint aux lèvres :
    L’aigle est trop haut pour le poisson
    Mais le paysan prend l’un et l’autre à l’hameçon.
    Et de la répéter lui fit la route brève.
    On les délia au bord du fleuve. Il fallait qu’ils s’attellent à des chariots remplis d’énormes balles de coton et de soie. Certains des chariots portaient un mât et une voile pour utiliser la force du vent glacé qui soufflait de l’est. L’officier et les soldats s’étaient rassemblés près d’un sampan. Wang aperçut un Européen, l’un de ces hommes aux yeux ronds et au nez droit, au teint couleur de lait, qui se tenait les bras croisés à l’arrière de l’embarcation. Il portait un feutre à bord large, un manteau de fourrure qui lui descendait jusqu’aux chevilles. De temps à autre il levait la main pour donner un ordre. L’interprète chuchotait quelques mots à l’officier qui se mettait à hurler et les soldats couraient vers les paysans, la crosse levée. Wang alors se courbait, incrustant ses pieds dans le sol boueux des bords du fleuve. Ils désembourbèrent le chariot peu à peu, le tirèrent jusqu’à la rive où de larges radeaux étaient amarrés. On y entassait les ballots.
    À la nuit, les soldats laissèrent les paysans de Wushi regagner leur village. Wang fut le seul parmi eux à trouver en lui la force de courir. Il avait déroulé les longues bandes de tissu qui lui enveloppaient les mollets et les pieds, il s’enfonçait dans le sol spongieux et froid, il coupait par les rizières, courant le long des talus qui dominaient les canaux d’irrigation. Il ne s’arrêta qu’au bord de l’étang aux lotus, sûr qu’il allait entendre les cris de Lee, son premier fils après quatre filles. Mais le silence entourait tout le village. Sur la place qu’il traversait, Wang aperçut les cadavres des deux paysans que personne n’avait osé toucher. Des chiens s’enfuirent en grondant quand ils aperçurent Wang mais ils revinrent près des corps dès que Wang eut repris sa course. Enfin il rentra dans sa maison.
    Lueur tremblante et jaune des mèches trempant dans l’huile. Wang vit le corps de Ling, son épouse, qu’on avait habillé de sa longue robe blanche. Ses filles étaient debout, veillant leur mère.
    Wang chercha l’enfant. D’un mouvement de tête imperceptible, Ho, l’aînée, lui montra Lee Lou Ching qui dormait dans un panier d’osier, Wang s’approcha. La respiration de l’enfant était calme, le visage paisible comme l’eau de l’étang. Wang s’accroupit, souleva la couverture, écarta les étoffes qui entouraient le ventre de l’enfant. Il vit enfin le sexe. Wang couvrit de sa paume les parties grosses comme une noix. Et la chaleur qu’il ressentit le fit rire, oublier le
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