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La Sibylle De La Révolution

La Sibylle De La Révolution

Titel: La Sibylle De La Révolution
Autoren: Nicolas Bouchard
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Les brumes de la Loire s’étaient refermées autour d’eux. On n’entendait que le
clapotis des rames, comme étouffé par les miasmes qui montaient de l’eau
noirâtre du fleuve. Il n’y avait qu’obscurité et volutes à perte de vue. La
nuit engloutissait tout. Même les lanternes allumées de part et d’autre de la
barge ne produisaient qu’une bien pauvre lumière, comme des feux follets au
cœur des marécages. On aurait pu se croire au milieu de l’océan tant le vide
s’étendait à perte de vue.
    Le citoyen Gabriel-Jérôme
Sénart frissonna. Jamais de sa vie il n’avait eu aussi froid ni ne s’était
senti aussi oppressé. L’humidité salée avait imprégné ses vêtements, des
gouttes glacées coulaient de son bicorne sur le col de sa cape de laine qui le
protégeait mal du vent de mer. Et il y avait les gémissements.
    En ce mois de brumaire de l’an
I de l’ère des Français, combien étaient-ils, attachés sur le fragile esquif
qu’on utilisait d’habitude pour transporter des céréales ou de la paille des campagnes
avoisinantes jusqu’à Nantes l’orgueilleuse ? Il y en avait cent, deux
cents peut-être, principalement des jeunes gens.
    — Alors, citoyen, tu veux
de quoi te réchauffer ?
    L’individu qu’on lui avait
présenté comme Lamberty s’était adressé à lui avec cordialité. C’était le
fidèle serviteur de Carrier, le meneur du Comité de salut public. Sénart avait
rapidement compris que l’homme n’était qu’un coquin qui trouvait dans la
répression de quoi satisfaire ses appétits. Appétits d’argent, mais aussi de
sang, et, il allait le comprendre bientôt, de luxure : la plus brutale et
la plus ignoble.
    Pourquoi l’avait-on envoyé ici,
au bout du monde, lui, simple secrétaire rédacteur ? Pour qu’on se
souvienne des massacres perpétrés par Carrier et ses sbires ? Il en avait
d’abord eu l’idée, avant d’y renoncer. Personne à Paris ne se souciait des
prêtres réfractaires qu’on avait menés jusqu’au milieu de l’embouchure du
fleuve sur un bateau à soupape avant de couler le navire ; personne à
Paris ne se souciait de tous ces paysans vendéens, pour la plupart de pauvres
gens, pas même des révoltés, qu’on avait fusillés pour rien, juste parce qu’ils
se trouvaient sur le passage des troupes tricolores. Sénart avait vu la mort
sous toutes ses formes : enfants, vieillards, femmes enceintes, prêtres…
Il semblait qu’en ces lieux la République, tel le Baal des anciens
Carthaginois, devait pour survivre se repaître du sang de ses enfants. À
travers les campagnes on fusillait, torturait, brûlait tout simplement par
peur. Peur que le peuple rejoigne la masse des insurgés, là-bas, au fond de la
Vendée sauvage.
    — Ont-ils été jugés ?
demanda Sénart d’une voix sourde.
    L’autre cracha dans le fleuve
avec un air satisfait.
    — Quelle importance cela
a-t-il, citoyen ? Le comité militaire et même notre bon Carrier nous ont
laissé toute latitude. Peu m’importe qu’ils soient vendéens, anglais, bretons,
paysans, prêtres ou ci-devant nobles ! On nous a chargés d’eux. C’est tout
ce que je sais et je m’acquitterai de la tâche.
    Maintenant, l’homme défiait
ouvertement Sénart. Le jeune fonctionnaire savait bien que son autorité était
des plus symboliques. Tout au plus pouvait-il observer et noter dans un recoin
de sa mémoire les crimes qu’il voyait accomplir sous ses yeux depuis le 19
frimaire de l’an I, jour de son arrivée à Nantes. S’il protestait ou tentait
d’empêcher quoi que ce soit, le fleuve sombre dans lequel on le précipiterait
le ferait taire à jamais et, à Paris, il ne se trouverait pas grand monde pour
protester de sa disparition.
    Il tenta néanmoins :
    — La loi de la République est
formelle. Tant qu’un homme n’a pas été jugé, il n’est pas possible de le
condamner !
    Lamberty poussa un grand éclat
de rire, et Sénart recula car la brute puait l’alcool.
    — Les condamner, moi ?
Mais je ne vais pas les condamner ! Non, pas du tout, c’est à une autre
cérémonie que je t’ai convié, citoyen. Une cérémonie que tu pourras raconter
devant les Comités afin de leur prouver que nous autres, à Nantes, traitons nos
prisonniers avec tous les égards qui leur sont dus.
    — Une cérémonie ? Que
veux-tu dire ?
    Sans répondre, Lamberty se
pencha par-dessus le bastingage et huma l’air, telle une bête fauve reniflant
sa
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