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Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
Autoren: Max Gallo
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sifflement du sabre, le froid de la boue et Ling morte.
    Il replaça les tissus et la couverture sur l’enfant, resta un moment encore accroupi, puis il s’allongea sur le sol, tenant d’une main le panier où était couché Lee.
    Il s’endormit, ignorant que cette nuit était la première du XX e   siècle.
    Peut-être l’enfant naissait-il à ce moment même ? Samuel Berelovitz, le col de fourrure relevé sur la nuque, retenait son chapeau que le vent soulevait. Il restait assis à l’arrière du sampan, ignorant l’interprète qui sur un petit trépied de cuivre préparait le thé, retournait les braises du foyer, maudissait les coolies qui avaient abandonné les chariots après avoir tenté de les piller, les soldats qui étaient tous des brigands et les paysans des paresseux. Berelovitz ne voulait pas répondre, il préférait imaginer la maison de la rue Mila, les rideaux de dentelles, les gâteaux sucrés sur les plateaux d’argent, l’oncle Elie et toutes les sœurs, les cousines qui avaient dû envahir le salon, entrouvrir la porte de la chambre, essayant d’apercevoir Nathalia, menue au milieu du grand lit et le professeur Kovillag et son assistant le jeune Wiesel – le fils de Wiesel, le plus important des banquiers de Varsovie – penchés sur elle. Si Nathalia avait eu les premières douleurs, ils devaient tous être là. Dans la rue, les pauvres attendaient assis sur le trottoir devant la maison et l’un d’entre eux, les mains mal protégées par des gants troués, jouait du violon. À moins qu’une bande de permissionnaires russes ou des étudiants en cape noire, brandissant leurs cannes, ne surgissent tout à coup, courant au milieu de la chaussée pour une de leur chasse aux juifs et quelqu’un sûrement, peut-être le vieux Guinzbourg, se laisserait-il prendre, glissant sur le trottoir gelé. Ils le roueraient de coups ou pire encore, le déculotteraient. La police polonaise, bien sûr, n’arriverait que plus tard, au moment où les voisins auraient déjà relevé Guinzbourg. La vie reprendrait, le violoniste debout à nouveau devant la porte de la maison Berelovitz attendant que l’enfant naisse et que les domestiques apportent l’obole, une assiette de viande fumante et les gâteaux enveloppés dans un tissu blanc.
    Berelovitz ouvrit les yeux. Le sampan filait au milieu du fleuve, précédant les radeaux chargés des balles de tissus. Sur les rives, dans la pénombre, il apercevait les villages, les terrasses de terre qui striaient chaque colline de gradins réguliers. Ici, je suis pareil aux Russes et aux étudiants de Varsovie, pensa Berelovitz, et les Chinois sont mes juifs. Il sursauta. L’interprète lui tendait une tasse de thé bouillant. Il la prit, réchauffant ses doigts à la porcelaine, et dans le salon, là-bas, rue Mila, Elie versait lui-même le thé au professeur Kovillag et à David Wiesel. L’enfant était peut-être né, Sarah ou Jacob. Mais Samuel en faisait le serment, Jacob ne serait pas marchand et Sarah n’épouserait pas l’un de ces vagabonds en pelisse qui comme lui, Samuel Berelovitz, couraient le monde pour acheter au meilleur prix. Jacob ou Sarah, les banques de Londres travailleraient pour eux. Samuel les voulait l’un ou l’autre loin de l’âpre odeur de transactions et de marchés dans laquelle il avait vécu et qu’il aimait. Il prit un cigare dans sa poche et trouva le carnet où il notait les dates d’appareillage des navires du port de Shanghai. Le seul bateau qui pouvait charger les balles était le Gulf Stream I, un cargo mixte américain qui faisait escale à Yokohama avant de s’élancer vers l’est, vers San Francisco. Des mois encore pour Samuel Berelovitz avant de retrouver la rue Mila et l’enfant, Sarah ou Jacob. S’il était né, Elie aurait envoyé un télégramme et Samuel imaginait le jour du retour, l’enfant déjà assis dans le berceau, Nathalia qui le prenait sous les aisselles, le portait à la hauteur du visage de son père, et il les aurait serrés tous deux contre lui.
    — Combien de temps encore ? demanda Samuel Berelovitz. L’interprète s’inclina, sourit.
    — Qui peut savoir, si le vent de la mer se lève…
    Berelovitz enfonça son chapeau jusqu’au ras des sourcils. L’interprète lui présentait un morceau rouge de charbon de bois. Il aspira lentement la fumée du cigare, chassant ainsi ces odeurs de poissons macérés et de sueur qui imprégnaient le sampan et semblaient monter du fleuve
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